« Ainsi, c’est ça l’image que vous voulez donner au quartier ? » Ces mots perturbèrent l’équilibre en place, il était là, son ombre planant au dessus de celle du jeune Baam et du Tsukuri. Éclairé par la seule lueur que dégageait sa cigarette, le visage de Seijaku se montrait clairement contrarié. Son regard appuyé ne laissait que très peu de marge de manœuvre quant à la compréhension de ses intentions.

« Vous devriez avoir honte de votre comportement, ce que vous faites, là, c’est lui donner raison. » Cigarette bloquée entre ses lèvres, un nuage de fumée s’extirpa d’entre la commissure de ces dernières. Le Shinnin émergeait de l’obscurité causée par le petit porche sous lequel il se tenait. Son costume étincelant contrastait largement avec l’apparence des habitants du coin, au point où, lorsqu’il marchait dans les rues du quartier, il n’était pas rare de le confondre avec les habitants des quartiers riches, mais, dès lors que l’on posait les yeux sur le symbole des Shinnin, brodé dans son dos, le doute s’effaçait.

« Relève toi, Tsukuri. » Lâchait sèchement Seijaku. Sa main tendue en direction du nobliau, s’il l’attrapait, alors il l’aiderais à se relever. « Tes agissements ne sont pas digne de ton rang et ce que tu fais n’aura que pour unique résultat que d’alimenter ce cercle de haine qui nous anime tous. »

Il lança un bref regard à tous ceux présent autour du Tsukuri, un regard plein de défi. L’air de dire tout autre abus serait punissable. Mains dans les poches, le Shinnin laissait s’échapper un énième nuage de fumée, avant que celui-ci ne finisse par écraser sa cigarette sous la semelle de ses mocassins cirés.

« Je suis Seijaku, de la Ceinture noire, et je me portes garant de ce Tsukuri. Que ceux qui sont contre ça fassent un pas en avant. »

C'est dans ces moments là qu'elle est contente de connaître une recette spéciale de maïs soufflé. Bah ouais. Quoi de mieux qu'un petit snack pour apprécier toute la saveur d'une altercation ? Alors que les esprits s'échauffent, Hide ne fait jamais que sillonner la foule, à qui veut échanger quelques grains contre une piécette, une demi-piécette, ou même un quart d'une. Elle s'en fiche. Il n'y a pas de petits bénéfices. Et ici, il n'y a guère que ça qui l'intéresse, puisque les questions de classes abordées la dépassent, et que le nombrilisme des uns et des autres ne laissent pas la place au sien, de nombril.

Ses deux neurones ne s'entrechoquent qu'à la mention de saikoromeijin. Ah. Ah ! AH ! Leur faudra bien un arbitre. Et un bookmaker. A tous ces pauvres gens. Hide ne sait pas écrire correctement, mais les chiffres, ça, elle connaît. Et puis lui aussi, elle le connaît, tiens. C'est m'sieur Shinryo, non ? Ça a l'air. On le respecte, dans son bloc. Ok. P't'être qu'elle groupillise un peu dessus. Note mentale : ne pas le mettre dans l'embarras. Mais quand même. Pas l'Akutoku. Ça schlingue et y a de la bile un peu partout. Et puis quoi ? C'est un combat pour le quartier des épices, ou pas ?

« Eh m'sieur, m'sieur ! Et qu'est-ce que vous faites de votre public ? Z'allez quand même pas les laisser tomber ? Et puis, l'Akutoku, c'est loin ! »

Hide s'est faufilée au centre de l'attention, virevolte et présente comme si elle essayait de vendre un chameau. Le public semble se rallier, et se chauffe pour une partie directe et immédiate.

« Le saikoromeijin est un jeu du peuple. Laissez-le au peuple ! On a qu'à l'organiser là, maintenant. On ne voudrait pas faire perdre du temps à notre illustre invité. »

Elle tire un sourire en effectuant une petite courbette. Les sifflements et les encouragements défraient de partout dans la foule.

« Qu'on ramène des caisses et des tonneaux. Qu'on montre à Tsukuri que nous aussi, on sait accueillir. »

Il faut moins de deux minutes pour que caisses et tonneaux forment des tables improvisées. Hide pose plusieurs sets de dés sur la table. Certains sont complètement pipés. Tous les affiliés au clan Shinnin devraient pouvoir les reconnaître, les utiliser correctement, et se donner un avantage facile.  

« Et puis l'honneur, c'est bien beau, mais ça nourrit personne. Offrez-nous donc du beau jeu ! Augmentez les enjeux ! Donnez-nous quelque chose d'excitant ! »  

Shinryo ? Voilà un nom qu’il n’avait pas entendu depuis longtemps. L’avalanche de souvenirs qui s’en suivit laissa le Shinnin bouche bée, le temps d’un instant. Qui l’aurait cru, alors, il n’était pas le seul ? Voilà l’exemple de ce qu’il serait devenu s’il n’avait pas eu la mentale, s’il avait été élevé dans la luxure.

Un rictus de dégoût vint se scotcher sur le visage de Seijaku. Alors comme ça, ses géniteurs avaient réussi à transmettre les manières horrible qu’il s’était juré de renier. Soit, dans ce cas, il ne lui restait plus qu’une dernière chose à faire… et ça n’annonçait rien de bon pour l’antique clan Shinryo.

« Je reconnais bien là la façon de parler des Shinryo… moi qui pensait que tout cela lui passerait, voilà qu’il l’a tout de même transmis à ses descendants. » Expirant une énième bouffée de fumée, le Shinnin jetait un œil aux alentours. La foule qui commençait à se rassembler n’annonçait rien de bon pour lui, de plus, si tout ça n’avait servi qu’à profiler une future partie de dés, autant dire qu’il perdait son temps ici. « Enfin bon, jeune Tsukuri, tu es bien loin de ta colline, la rue c’est pas un jeu. »

Clope au bec, il passa au milieu de tout le monde afin de rejoindre le seul qui avait eu l’audace de prendre position contre lui. Son regard plongé dans les iris de ce dernier, il s’arrêta une fois à son niveau. « C’est bien garçon, t’as des couilles, on se reverra, soit en sur ! » Avant de repartir, il décrocha un léger sourire et poursuivit. « Mais apprends à respecter tes aînés avant ! »

Sur ces paroles, il s’en alla, disparaissant dans la foule qui commençait à s’amasser autour d’eux.