Ce matin-là, l’aurore dévoilait ses plus belles lueurs, envoûtant les observateurs et charmant les poètes. De ces volutes orangées et dorées, émergeaient une quiétude et une félicitée rare. Contempler cette fresque céleste apportait à chacun l’illusion d’une paix retrouvée et d’un espoir nouveau. Peut-être que les temps allaient devenir cléments pour la population des Quartiers des Épices ? Après tout, Bô avait fait de son mieux pour assurer une prospérité, un nouvel âge d’or pour les Shinnin malgré les tumultes parcourant la ceinture. Cette espérance collective se traduisait par un rebond de la consommation. Le Mal noir et ses limites connues, les habitants de la Rosée du matin commençaient à oublier les affres de ces dernières semaines.

D’ailleurs, en ce lundi, Shun attendait comme à son habitude son fournisseur « particulier ». Depuis la flambée des prix et la folie des commerçants de la surface, il avait appris à commercer avec l’Hypogée. Des mets et des boissons locales, encore inconnus aux gens d’en haut, pouvaient redonner un souffle au « Tenbu Hôrin ». Une opportunité de créer des liens pérennes avec une force grandissante et honorable. Si bien que cela faisait deux semaines, qu’il avait renégocié et remanié son réseau d’approvisionnement. Se passer d’intermédiaire et se fournir à la source, cela diminuait les coûts et assurait une relation de confiance. Ce sans nom, muré dans l’anonymat, il l’avait rencontré par un ami en commun. Avoir un réseau était capital pour un marchant ayant de fortes ambitions.

Le Miyazaki fut surpris de voir son nouvel ami arriver avec aussi peu de marchandises. D’après lui, les ressources souterraines étaient mobilisées par d’autres et par conséquent, il ne pouvait plus assurer un approvisionnement conséquent. Néanmoins, il assurait qu’il possédait une épice particulier. Rare et précieuse, ici d’un cristal étrange, cette poudre de 10 grammes aurait des propriétés exceptionnelles. Pas tant sur le plan gustatif, que dans le domaine d’un éveil chakratique. Ce résidu pouvait réveiller en chaque élu un pouvoir latent, une force insoupçonnée. Sceptique, mais ne pouvant remettre en doute la parole de son fournisseur, il déploya les centaines de wén demandé. Cet investissement allait devoir en valoir la peine. Partant bons amis, le vendeur un peu louche, fit un dernier avertissement : « un seul touché et une vie peut se retrouver bouleverser, prudence est mère de sûreté ».

Intrigué, le Shinnin se pressa de rejoindre l’arrière-boutique et de prendre contact avec cet amas cristallin. Ou moment où il toucha directement la poudre rougeâtre, son corps, son cœur et son âme furent traverser par une énergie inconnue. Ou plutôt, tout son être venait de renaître, de redécouvrir le monde dans son entièreté. Vacillant, il tomba au sol tout en préservant l’épice dans son étui. Mains et corps en contact avec le sol, il perçut un vrombissement, un tremblement, une parole chthonienne et antique. Sa conscience s’était élevée au point d’entrevoir le dialogue des Titans. Sans pouvoir traduire ses ressentis avec exactitudes, il avait l’assurance qu’il s’était rapproché des Titans et de leur savoir infinie. Ce présent vermillon était sûrement un cadeau des Titans primordiaux, pour aider les Hommes à la Grande Guerre. La Croisade était aux portes de la Rosée du matin, Shun en était convaincu. Le chef religieux espérait trouver la Troisième Prophète, avant que les saints ne la fassent taire à jamais.

En attendant, il ajoutera à son emploi du temps chargé, la maîtrise de cette connaissance tellurique et de son exploitation pour servir la Secte et ses idéaux. Bientôt, miracles et mouvement de foule marqueront le quotidien du « Taizai no Kyojin ».

Depuis cet éveil, Shun tenta de mobiliser toutes ses ressources pour mieux appréhender ce nouveau don. Connaître un lien particulier avec la terre, le Palais Chthonien et ses Seigneurs, était pour lui une confirmation de sa glorieuse Destinée. Interprète des Titans enfouis, bannis et en sommeil, était un privilège rare. A présent, lui aussi pouvait apporter sa pierre à l’édifice, ne pouvant prétendre au titre de prophète, il se constitua un nouveau rôle : le Premier Inquisiteur. Guidé par les tremblements, les secousses et les vrombissements de la croûte terrestre, le quarantenaire laissa son esprit et sa plume rédiger un nouveau texte sacré.

Dans un autre temps, attentif à ses sensations, déployant son chakra et essayant de comprendre la polyvalence de ce pouvoir, le Miyazaki essaya de rentrer en communion, en transe avec cet élément primaire. Entre danse et signes incantatoires, le corps de l’ébène se rapprochait d’un rite obscur. D’un œil profane, tout ceci n’avait aucun sens. Pourtant, le prêtre savait exactement ce qu’il faisait. Dans une autre dimension, on aurait pu croire à des bacchanales ou aux mouvements liés à la Nuit de Walpurgis. Tout était mystique et envoûtant, une véritable renaissance d’un arcane antique, perdu et inconnu par la masse. Seul, dans les bois entourant la Cité, l’homme à la chevelure blanche essayait de convoquer des forces titanesques.

Durant deux jours, il enchaîna quatre tentatives d'établissement d'une nouvelle capacité. L'entraînement était rude, mais nécessaire.

Jour 1 : A Force de laisser son corps agir, libérer les énergies contenues dans son corps et dans le sol, des phénomènes étranges se manifestèrent. Main sur le sol, le dévot se mit à l’écoute de ses maîtres. Là, après un silence sourd, quelques soubresauts lui parvinrent. Patient et pragmatique, peu à peu, son être interpréta avec finesse ses nouvelles sensations. Des vibrations, des points de pressions, des formes de vie notables. Ainsi, après quelques mûdra, immobile et concentré, le chef religieux pouvait discerner la faune aux alentours. Il ancra ce sentiment dans son cœur, il accédait ainsi à un nouveau plan d’existence. Ses capacités sensorielles venaient de s’élever et diversifier.



Jour 1 : Ne restant pas sur cette réussite, il voulut apprendre davantage, discerner les limites de ses nouvelles capacités. Alors qu’auparavant, il ne connaissait que les effets du chakra de façon interne, impactant son ressenti et influençant les autres de manière superflue, une voix rauque lui intima de dépasser ce cadre. Hallucination ou parole divine, il se ne se permit aucun doute et recommença à malaxer son chakra à l’aide de ses gestes de mains. Lentement, mais sûrement, il essaya diverses combinaisons. Tout en faisant d’amples gestes de jambes, marquant un rythme imaginaire ou propulsant du chakra à l’unisson avec les positions de ses mains, bientôt un mur se dressa. Frêle et incomplète, cette structure donnait de l’espoir à l’élu. Peut-être que finalement, ses dons allaient lui permettre de se protéger. Recommençant une dizaine de fois sa création, il apprit peu à peu à réduire les mouvements inutiles et à devenir efficient. Bientôt, d’un mur solitaire, un véritable cocon terreux prit forme.



Jour 2 : Même si user ainsi de son chakra était pénible et épuisant, le tavernier voulait cerner l’entièreté de ce lien si intime. Même si améliorer ses capacités sensorielles et défensives était une amélioration non-négligeable, il pressentait qu’il pouvait faire bien plus. C’est pourquoi il établit, deux dernières techniques, deux champs d’actions bien utiles pour sa vie future en tant que soldat de la Triade. Yeux clos, mains prêtes à danser, il imagina son désir et tenta de rendre son rêve réalité. Après avoir enchaîné une dizaine de signes, il abattit ses paumes contre le sol. Là, une fracture suivie d’un effondrement prit naissance. La terre fertile se changea en un terrain boueux, une terre propice pour piéger une cible un peu trop mobile. La zone touchée était minime, mais le Chevalier de l’Orgueil comprit que ce n’était qu’une ébauche, une promesse pour l’avenir : bientôt, il serait apte à combattre et non plus seulement à fuir.



Jour 2 : La technique suivante était un pari risqué, une mesure d’urgence, un moyen de se mettre à l’abri le temps d’un conflit à son désavantage. La concentration était totale, les signes s’enchaînaient sans aucune réflexion, si bien qu’il mit plusieurs secondes à comprendre que ce qu’il souhaitait faire, était véritablement effectif. Le voilà, s’enfonçant dans le sol, trouvant un refuge à l’abri des aléas de la surface. Un moyen d’assurer une retraite ou une attaque surprise. Il allait bien sûr devoir travailler sur la vitesse d’exécution, mais pour un début, c’était plutôt prometteur.



Après ces multiples découvertes, le Shinnin fut épuisé. Un tel effort en si peu de temps, n’était définitivement pas dans les habitudes du Titan mineur. Peut-être valait-il mieux rejoindre la Taverne et se reposer. Le temps ne pressait pas, et puis, il avait encore tant de choses à écrire pour la Secte. Ses révélations devaient être connues.

Après son sermon de la nouvelle Lune, Shun était convaincu que le destin du « Taizai no Kyojin » résidait dans son lien avec Foreur. Jour après jour, il multiplia les méditations et les tentatives d’entrer en contact avec cette entité Chthonienne. Pourtant, cette dernière resta muette. Malgré la patience et l’écoute de « l’Inquisiteur » il n’arrivait plus à rentrer en résonnance avec son ami et tuteur. Ainsi, il comprit que l’étude passive et contemplative n’était pas le meilleur moyen pour fusionner avec son nouvel allié. C’est pourquoi, il donna rendez-vous à Yoko, Liu et Bei, ses fidèles employés à l’extérieur de la cité. Il fallait user de la nature et des forces telluriques pour arriver à la communion. L’expérience et la maîtrise du don étaient les clefs du succès de son entreprise. Cette croyance habitait tout son être, si bien que son âme hurlait d’une passion ardente.

Sous l’ombre paisible des arbres isolés, le Miyazaki partagea ses ambitions du jour à ses subalternes : un combat inégal, afin de libérer tout le plein potentiel de son contrôle de la terre. Réticents au départ, les combattants finirent par obéir à leur maître. Après tout, il n’avait pas de raison de douter de lui et de sa détermination. Armés d’armes factices, Yoko et son épée, Liu et ses griffes, Bei et son fléau de bois, se préparèrent à l’assaut. Le prêtre surestimait ses compétences, mais il avait foi en Foreur. Il espérait qu’en provoquant le Destin, ce dernier surgirait de ses entrailles pour le protéger. C’était un pari très risqué, cependant la religion ne se rapproche-t-elle pas parfois de la folie ?

Ce fut la blonde qui entama les hostilités, un coup net et prévisible, une tranche verticale plutôt lente. Il était évident que la guerrière retenait son coup. Face à cette simplicité et à cet affront, le dévot se contenta d’enchaîner des signes incantatoires et fit émerger un mur entre lui et le boken. Le timing fut tel que l’attaque se contenta de détruire la création et ne toucha pas sa cible initiale.



Yoko, étant tenue à distance par cette défense fragile, Shun était sauf pour le moment. Toutefois, grâce à cette action, il comprit très vite les limites d’une défense réflexe faite d’une barrière rocheuse. Contrairement à la dernière fois, la précipitation l’avait poussé à lui donner une consistance plus friable, moins efficace, moins pérenne. Il ne pouvait donc pas baser sa survie sur l’érection de simples parois de terre. En comprenant cela, il réalisa à quel point sa défense était faible. Il lui fallait plus de puissance, de polyvalence. Il cessa l’entraînement un instant, le temps de trouver une autre parade.

Imaginant un autre moyen de limiter l’impact d’un assaut, il frappa le sol de son pied gauche et usa de nombreux mudra. Cette terre soulevée vint à la rencontre de sa peau et forma une couche protectrice éphémère. Immobile, il espérait avoir trouvé une protection viable. Pourtant, lorsque Liu aux griffes émoussées vint frapper l’épaule de l’orgueilleux, la douleur se fit sentir. Sa protection avait certes amorti le choc, cependant ce n’était pas suffisant pour arrêter la force du premier jumeau.



Constatant amèrement ce résultat, après une courte pause, l’élu obstiné réédita sa technique sous une forme différente. A peine créée, l’enveloppe craquelait déjà. Il s’agissait définitivement d’une solution de dernière minute, répondant seulement à une urgence lente. L’homme d’autorité demanda à la montagne vivante d’attaquer de nouveau dans les mêmes conditions. Le succès fut présent. Aucune douleur n’était à déplorer, cependant la protection disparut aussitôt. Encore une fois, le Grand Prêtre dut s’avouer qu’il n’avait pas les capacités de réagir promptement et efficacement à un assaut plus rapide. Il était totalement désavantagé et à la merci du plus puissant venu. Il pouvait au mieux, atténuer la violence, mais pas s’en prémunir.



Méditant et partageant ses observations avec ses employés, il chercha une méthode, une combinaison peu coûteuse qui l’aiderait à user de la force de Foreur pour survivre à un assaut. Tous amenèrent leur pierre à l’édifice. Que ce soit un dôme, une armure partielle, des entraves ou des obstacles, tout fut évoqué. Cet échange fructueux nourrissait l’imaginaire de l’apprenti combattant si bien qu’il se décida à une ultime solution. Ce serait sa botte secrète, son atout final, le témoignage de son envie de vivre.

Puisant dans ses réserves, dans son mental et dans sa foi, il ordonna à ses compagnons de l’entourer et d’asséner le coup le plus violent dont ils étaient capables. La défense absolue devait être mise à l’épreuve. Concentration et précision étaient de mise, brûlant son âme comme jamais et la faisait briller telle une étoile, Shun se préparait à mettre sa vie en jeu. Lorsque les assaillants amorcèrent leurs attaques, les mudra se suivirent naturellement. La terre prit alors vie et forma un lotus géant et protecteur. Sur celui-ci, des inscriptions étaient sculptées : モグラ (litt. Taupe). Ce dôme particulier devint aussi dur que le fer et protégea son créateur de façon éphémère, mais certaine. Sans visibilité, immobile et au bord de l’épuisement, le Miyazaki ne perçut pas immédiatement le succès de son entreprise. Ce n’est que lorsque la terre s’effondra qu’il réalisa sa réussite. Malheureusement, sa vue se troubla et il perdit connaissance. L’orgueilleux avait voulu dépasser ses limites et la réalité l’avait rattrapé avec virulence. Il lui fallut plusieurs jours de repos pour retrouver une vie normale. Toutefois, son audace fut récompensée, Foreur lui parlait de nouveau, impressionné par sa volonté.