Le quotidien d'un Érudit l'obligeait à sortir de sa zone de confort pour progresser, tant personnellement que professionnellement. Le principe même de la science était d'abandonner les sentiers battus pour exprimer sa voix intérieure, sa curiosité scientifique, et aller là où aucun esprit errant ne s'était encore aventuré. Ce jour-là, Sadaharu devait rejoindre ses proches amis du clan Kodama afin de parcourir, ensemble, la luxuriante jungle de Kusa no Kuni. Même si le biome naturel du pays regorgeait de danger, l'alchimiste s'était convaincu qu'une escouade de trois aventuriers compétents – @Nonoko Noko comptait définitivement pour trois – pouvait suffire dans leur tentative de survie. L'hiver s'échappait doucement du quotidien du peuple d'Asatsuyu, et les premières plantes se développaient çà et là après un hivernage bien trop long. L'occasion parfaite pour faire usage de sa main verte.

« Mir ! » beugla le balafré au travers de la cour du Monolithe, devant la structure antique aux glyphes encore insensés. « J'ai fini de me préparer. Noix de coco n'est toujours pas arrivé ? »

L'alchimiste était chargé comme une mule – et cela n'était que la partie émergée de l'iceberg. Derrière ses épaisses atours, son sac à dos en cuir, ses bourses de poudre, et ses besaces en bandoulière, se cachaient des dizaines de runes greffées directement sur sa peau d'albâtre. De quoi transporter un maximum de biens lors de ses trajets.

« Je n'ai pas eu le temps d'affûter ma lame. Je vous laisse zieuter les environs, une fois sur place ~ Je risque de ne pas être très à l'aise, avec tout ce barda dans les pattes. Et oui, j'ai pensé à la bouffe. Et oui, c'est encore de la poudre. C'est l'eau qui prend le plus de place ! »

Le jeune homme avait hâte de partir à l'aventure avec ses compagnons. Sortir du village lui vendait des rêves, comme des cauchemars. Intérieurement, il était tiraillé entre l'envie de caresser la nature du bout des doigts, et celle de rester bien au chaud dans les serres de l'Atelier. Par chance, @Tomoe Mirai le tirait vers le haut.

Après plus d’une demi-heure d’attente, il était évident que Noix de coco n’allait jamais rejoindre l’expédition de Mirai et Sadaharu. Un triste constat qui n'allait toutefois pas condamner le sort des deux Shosei du clan Kodama. Récupérant son sac à dos qu'il avait laissé entre ses pieds pour ne pas en subir inutilement le poids pendant cette longue attente, le balafré redressa son échine, et sourit à son amie. Ils pouvaient bien se débrouiller à deux. Un guide n'était pas si nécessaire lors de voyages dans la jungle de Kusa no Kuni. Enfin, ça, c'est ce que l'alchimiste espérait de toute son âme pour ne pas finir la jambe coincée dans une crevasse.

« Il nous rejoindra en chemin. Allons-y ! »


Les deux aventuriers en herbe n'eurent aucun mal pour rejoindre les Portes d'Or depuis le Quartier des lumières. Parmi les trois entrées et sorties de la cité, celle qui frôlait le territoire des Érudits était la plus praticable. Il n'y avait pas une masse noire de monde comme l'on pouvait y trouver à la Ceinture noire ; ni des miliciens coincés alpaguant tout étranger pour vérifier la raison de leur passage au Quartier des arts. Non, vraiment, le clan Kodama pouvait se vanter de son ambiance particulièrement saine. Les environs étaient sereins ; tranquilles. Et Tomoe Mirai emboitait le pas de son petit frère de quasi adoption pour foutre le pied dans un biome hostile et imprévisible.

« Il est trop tard pour regretter ! Essayons de dénicher un réseau de grottes, j'aimerais bien récolter des espèces atypiques de champignon. Ça propose tout un tas d'effets – la nature fait si bien les choses ! », affirma l'alchimiste en étirant ses bras tendus par le poids de son paquetage. « Oh, et, même si tu as faim, et qu'un chapeau coloré te donne envie de l'ingurgiter d'une bouchée, évite. Je goûterai avant. »

Les signes de la civilisation s'éloignèrent derrière les deux compagnons. Un sabre dans la main, le jeune Sadaharu essaya de se frayer maladroitement un chemin au travers de la végétation, coupant les feuilles géantes, et lacérant l'écorce des arbres d'une croix pour se repérer partiellement. Un rituel qu'il avait appris de ses compères explorateurs, sans toutefois le maîtriser à cent pourcents. Peut-être Mirai avait-elle une meilleure idée ?

« Tu commences à t'habituer au Quartier des lumières, sinon ? Ça m'a fait tout drôle, les premières semaines. L'air était trop... propre. Je ne sais pas si tu as ressenti la même chose. »

« Ne t'en fais pas, j'ai toujours la tête sur les épaules. Personne ne pourra me sortir la Ceinture Noire de la tête ! Enfin... je dis ça... il y a sûrement des maudits capables de faire ça... »

Et en ce point précis reposait toute la conviction de Sadaharu pour apprendre les arts érudits. Le danger du chakra. Son potentiel illimité. Ses pratiques inhumaines. Comment pouvait-on penser à l'avenir quand de plus en plus de contaminés posaient les nouvelles bases d'une fondation instable ? Ça ne pouvait continuer. Il fallait combattre ce fléau. Quitte à y consacrer sa vie entière. Heureusement, le balafré pouvait compter sur son passé conflictuel pour puiser dans une abnégation sans pareille. Atteignent les étoiles ceux ayant manqué de tout.

« Tant que je trouve du temps pour nous deux, c'est le principal. »

L'alchimiste hocha la tête d'un air décidé. Là était la limite qu'il s'empêchait de dépasser ; un rituel à accomplir de toute urgence à défaut de choir sur une pente glissante. Car le garçon se connaissait. Il n'avait besoin que d'un but, que d'un objectif, pour le happer dans une dimension d'amélioration et ainsi le priver de toute autre nécessité. Tandis que sa formation au sabre l'avait sauvé plus jeune, cet apprentissage aux lettres pouvait certainement le condamner.

« Au pire, je compte sur toi pour me mettre un coup derrière la nuque ! »

Il était fort probable que ça ne la dérangerait pas le moins du monde.

Le monde était petit. Trop petit. Quelle chance y avait-il pour croiser la Sorcière d'Ivoire au beau milieu de la jungle ? Bon, d'accord, c'était une personne, un être humain, et il fallait la respecter en tant que tel. Mais sérieusement. Mirai et Sadaharu ne pouvaient-ils pas se perdre tranquillement dans la jungle pour explorer des crevasses humides et y croiser des séides troglodytes ? Visiblement, non. Mais ce n'était qu'un mal pour un bien. Grâce à cette heureuse rencontre, le balafré allait pouvoir apprendre à connaître l'étrange énergumène qu'était Akihito Sachiyo.

« Hey. C'est mignon, par ici. »

Mignon... c'était un mot. Ayant grandi en pleine Ceinture Noire, Sadaharu avait des standards relativement bas en matière de confort de vie. L'habitation de la 象牙の魔物 Zouge no Mamono disposait d'un charme atypique qui ne rendait pas le jeune homme indifférent. C'était si... calme. Peut-être était-ce dû à la frappe régulière du sōzu.

« C'est donc là que tu vis ? »

Le tact n'avait aucun temple, ici bas.

L'alchimiste commença à pénétrer le campement de sa consœur érudite, et promena son regard ci et là pour inspecter les différentes structures se présentant à sa curiosité. Bien sûr, il n'était pas fou : il ne s'approchait pas à moins de deux mètres de la chose. Et lui jetait nombre de regards appuyés, en permanence, pour vérifier qu'elle ne lui jetait pas un mauvais sort sous son manteau. Après tout, tous les surnoms viennent d'une part de vérité...

Aux premiers abords, Sadaharu n'arriva pas à comprendre les mots de la jeune femme. Non pas qu'elle parlait mal - mais plutôt que le sens de son message n'arrivait pas jusqu'à son cerveau. Pourquoi lui parlait-elle d'Arai ? Et c'était qui, d'ailleurs ? Le nom gravita dans son esprit, sans porter ses fruits hélas.

« De quoi ? »

Pourquoi lui parlait-elle de... AH ! Mais oui, bien sûr ! C'était la protégée d'ARAI Kisaragi, patronne des alchimistes ! L'illumination éclaira les neurones du balafré à en éblouir ses deux interlocuteurs. Tout de suite, le contexte était devenu plus limpide, en effet. Mais ça ne répondait pas à un énième mystère.

« Récupérer un échantillon de sang ? » Le jeune homme avait parlé tout haut. « Tu es malade ? C'est pour ça que tu restes aussi loin de la ville ? » L'ex-gamin des rues recula d'un pas. Il avait passé tout son enfance à écouter des légendes urbaines terrifiantes au sujet d'ermites en tout genre. « Je veux dire... s'il faut que tu envoies ton sang à l'Atelier, on peut bien l'y amener, si tu insistes, hein... »

Sadaharu chercha des yeux le soutien de sa partenaire de toujours.

« Mais sinon, oui, tu as vu juste, nous nous sommes p-... aventurés assez loin du village. »

Après une belle balade au sein de la jungle de Kusa, les deux amis de la Ceinture Noire rentrèrent à domicile. Sur leur trajet, ils n'avaient la découverte d'une plante miraculeuse, ou nouvelle espèce cachée de l'Humanité depuis la nuit de temps. D'un point de vue très gris, morne, fade, cette expédition n'avait été qu'une promenade de santé. Par chance, ils avaient pu au moins découvrir la tanière de la Sorcière d'Ivoire, et échanger avec elle sur ses conditions de vie. En ayant deviné que la jeune fille donnait régulièrement des échantillons de son sang à Arai Kisaragi, Sadaharu accepta de transporter la toute dernière cargaison à l'Atelier. D'un sens, c'était sur le chemin, alors autant économiser une longue marche à Akihito Sachiyo. Si leur guide « Noix de Koko » avait été là, nul doute que le trio de l'extrême aurait essayé de s'enfoncer plus profondément sur les terres sauvages du pays. Hélas, il valait mieux rentrer en vie au village, plutôt que de jouer aux casse-cou les yeux bandés, avec zéro connaissance du territoire.