Sadaharu était de corvée, ce soir-là. Ou plutôt : il avait accepté de son plein gré de faire le sale boulot demandé par le Grand Érudit en personne... sous peine d'être radié de l'ordre des alchimistes ? Le balafré ne savait pas vraiment. Mais il valait mieux se mettre dans les petits papiers d'une figure aussi prestigieuse, plutôt que de constamment jouer les rats de bibliothèque. Et puis, quel idiot oserait refuser de satisfaire une requête directe de Sasaki Koubai ?

Pas Sadaharu.

Malin comme il était, il alla même pousser le vice du calvaire jusqu'au bout, et demanda la présence de sa fidèle amie – et sœur de misère – pour venir compter les nuages avec lui pendant leur nuit de surveillance. Ce que les hautes instances du clan Kodama acceptèrent aussitôt, du fait de la qualité de Shosei de la brute aux poings explosifs. Ainsi, la jeune femme reçut l'invitation honorable de venir servir de gardien de nuit aux alentours du Monolithe, authentique oriflamme des Érudits. Le balafré avait hâte de poser ses yeux sur elle. Il s'imaginait déjà lui sauter dans les bras – se prendre un marron en pleine joue –, la remercier d’avoir accepté – déplorer la fracture de ses deux fémurs –, et se hâter d'une bonne soirée en sa compagnie – dans un état de léthargie avancé.

Et la voilà qui se rapprochait à vue d’œil de l'enceinte de la cour du Monolithe, tiens.

« Mir ! Comme je suis content de te voir ! »

L’astre lunaire irradie de manière bien étrange en cette soirée. Jamais vous n’avez pu voir la lune si... Imposante. Elle est la reine de la soirée, les constellations se cachent face à sa beauté resplendissante. Les rayonnements du satellite naturel baignent la cour du Monolithe dans une aura mystique.

Le petit groupe de gardien que vous incarnez, constate un fait important : vous êtes les seuls à vous trouvez dans l’enceinte du complexe. En effet, il n’y a pas une âme qui vive dans les parages. Pas même un petit vieillard s’étant assoupis après une longue journée d’étude.

La nuit s’annonce longue, ennuyante. Toutefois, votre expérience – mais surtout votre instinct – vous intime que quelque chose ou quelqu’un va venir gâcher cette petite soirée. C’est toi, la Sorcière d’Ivoire, qui te fais transpercer en premier lieu par un soubresaut de panique.
Rien n’y fait, aucune signature chakratique n’est terrée dans les parages.

Il vous faut vous organisez pour cette veillée nocturne. Le terrain à surveiller est important, probablement trop pour votre trinôme...
Mais une question subsiste : les hautes instances n’en ont pas trop fait ? De quoi avoir peur ? Qu’est-ce qui pourrait éveiller la curiosité d’un voleur pour cette proto bibliothèque ? Serait-ce le Monolithe, qui luit en cette soirée, l’élément déclencheur ?

C'était d'un ennui. Sadaharu regrettait déjà d'avoir accepté la requête du Grand Érudit. Il avait bien fait les choses, pourtant ; dans son barda trainait tout un tas de livres et de petites collations afin de rester éveiller – tant pour son esprit que son corps. Cette paranoïa générale ne l'avait pas convaincu. Il y avait peu de chance que des "fantômes" rôdent dans le coin pour "voler les secrets" du clan Kodama. Car leurs secrets n'avaient rien d'important.

Mais il devait jouer le jeu. Et avoir l'air convaincu de par la nécessite de sa présence ici. Sous peine de mourir de manière fulgurante par les phalanges de sa consœur.

« Hahahaha, mais voyons Mir, comme si moi, ton ami, allait te priver de sommeil pour rien ? Je n'oserais jamais ! Si tu es là, à m'accompagner, en cette heure aussi tardive, c'est pour une raison bien précise ! Et cette raison – attends, tu vas vraiment être surprise quand tu vas l'entendre – nous a été refilée par le Grand Érudit en personne ! Si c'est pas fou, ça. Alors, tu vois... Non, vraiment, on fait bien d'être ici. On "cueille le jour", comme les gens disent. Je n'ai pas raison ? »

Il avait complètement omis de lui donner la raison de cette escapade nocturne. De son plein gré ? Peut-être pas. Il fallait dire que Tomoe Mirai lui refilait une peur bleue quand elle s'énervait. Règle numéro un de l'instinct de survie : toujours se mettre du bon côté des poings. Rectification : du bon côté des poings de Mirai*.

« Je propose de mettre en place un système codé efficace au possible pour nous prévenir du danger sans alerter nos potentiels visiteurs. Comme... un bruit d'oiseau. »

Oui. C'était la fine fleur des alchimistes de l'Atelier. Une étoile montante. Un bourreau de travail.

« Si tenté les oiseaux daignent piailler à cette heure là de la nuit... »

Le groupe, en manque d’information quant à sa mission décide de mettre en place un bruit d’oiseau. Ce dernier servira pour déceler, ou du moins mettre en évidence un intrus. L’idée ingénieuse est adoptée par tous. La Candide offre à ses deux compagnons de fortune une paire de clochettes.

Les minutes s’écoulent et le calme plat règne. Une mission d’un ennui infini.

Pourtant, plus la nuit évolue et plus la lune s’ancre de manière agressive dans la voûte céleste. Elle semble vous prévenir. Comme si sa présence si proche se veut être un signe. Sadaharu, cette proximité avec l’astre lunaire te fait ressurgir d’anciennes légendes ; celles traitant de la transformation d’homme en bête au contact de la lune.

Tandis que tu reviens à ta place, après ce don, Sachiyo tu remarques que le jardin intérieur est truffé de petite pierre couleur ivoire. Bien que tu n’as jamais souhaité te familiariser avec la vie au sein du village, c’est bien la première fois que tu remarques de tels galets de cette couleur ici...

De son côté, Mirai s’approche du monolithe à l’aura si particulière. Ses yeux remarquent quelque chose que personne ne remarqua plus tôt. Ce n’est ni dû à un reflet d’optique, ni dû aux reflets de l’astre. Le monolithe illumine, faiblement. Toutefois, pour en être sûr il faudra s’approcher encore plus. Une douce berceuse s’éprend également de ton ouïe. Un son doux, enivrant, la mélodie est entraînante à l’image d’une transe. Pourtant, tu ne captes ni ne comprends les paroles de son instigateur.


Un bruit, tonitruant, de ceux qui ne devrait jamais avoir lieu ici et dans un tel contexte, s’échappe des profondeurs de la bibliothèque. Après un certains temps d’adaptation, quelques secondes, vous vous rendez tous compte que ce bruit est un cri. Inhumain.

Les idiots ! Ils avaient laissé la bibliothèque sans surveillance. Des incapables, vraiment. De quoi s’en vouloir pour seize générations après le futur sermon du Grand Érudit en personne. Face à cet échec, Sadaharu fonça vers l’entrée de la bâtisse, avant de s’arrêter sur le pas de la porte menant sur la cour pour faire le point avec ses partenaires. Parce que, en effet, il fallait mieux qu’il prévienne ses compagnons avant de foncer la tête la première dans les ténèbres du danger. À défaut de mourir sans un bruit, et de condamner les siens à un trépas similaire.

« J'ai entendu quelque chose ! »

Bien sûr, qu'il avait entendu quelque chose. Tout le monde l'avait entendu. Mais était-ce le seul danger qui se tramait dans les environs ? Dégainant son sabre de sa ceinture, il s'engouffra aussitôt dans le monastère, faisant fi de l'avis de ses compères. Après tout, le balafré n'avait pas froid aux yeux. Et il se mordait déjà les doigts d'avoir sous-estimé l'importance de cette mission. Ça n'arriverait pas deux fois dans une même soirée ; il allait s'en assurer !

Tandis que l'obscurité le narguait, l'alchimiste s'arma de son fragment de pyrite et d'un morceau de ficelle, et embrasa ce dernier d'une vive étincelle afin d'éclairer temporairement les environs. Cette torche improvisée, sans huile quelconque, n'allait tenir que quelques secondes, mais cela suffirait pour apercevoir la moindre ombre tapie dans un recoin. Et puis, si jamais la présence était plus maligne que lui, il n'aurait qu'à... faire un bruit d'oiseau ?

Merde.

Une chose s'avérait de plus en plus véridique : les trois Shosei étaient à la merci de leur invité surprise.

@Yagyū Sadaharu, tu es le premier à arrivé à l’intérieure de la bibliothèque. À l’aide de ta torche improvisée, tu éblouis les environs. Cette proto-bibliothèque ne te cache aucun de ses secrets : plusieurs étagères sont au sol. Des dizaines – voir des centaines ? – de livres sont éparpillés çà et là. À tes yeux, cela à tout d’une scène de conflit. Deux personnes, voir plus, en sont venu aux mains ici.
À votre arrivée, la bibliothèque ne connaissait pourtant pas pareilles stigmates...

La présence lunaire t’aurait suffit à analyser cette situation. Pourtant user de ta torche t’offre une toute nouvelle piste. Avant que celle-ci ne s’éteigne par manque de comburant, du coin de l’œil, tu aperçois quelque chose. Une trappe ouverte. Aucun scientifique n’a déjà parlé d’une telle chose. L’échauffourée a révélé ce secret enfouis.

Ce qui rôde n’est peut être pas très loin, mais n’est pas encore à portée de ta vision.

@Akihito Sachiyo, ta peau ne supporte plus la dangerosité de ta bénédiction. Son ouïe préoccupée par la situation n’a pas fait mention de cet avertissement sonore. Sa paume s’appose avec délicatesse contre le monolithe froid. Une décharge statique afflige ton toucher, mais cela n’augure rien de grave. Bien au contraire.

Une émotion enfouie, bien trop longtemps oubliée remonte à la surface au contact de la pierre mystique. L’ataraxie prend position dans ton cœur, sans t’en rendre compte, tes os ne déchirent plus ta peau. Cette bête intérieure, cette protection infaillible ne pulse plus. Elle ne t’ordonne plus de te méfier. Tu es apaisée.

« Akihito Sachiyo... Mon enfant... »

La voix provient de cette antique structure. La voix ne ressemble à aucune personne que tu puisses connaître.

@Tomoe Mirai, tu t’écartes à contrecœur du monolithe. Ton âme te crie d’y revenir, elle a besoin de ce sentiment d’apaisement. Tu sens ton corps différent : il est plus tonifié, plus reposé. Un long repos de plusieurs mois, en somme. Plus légère, plus forte. Tes sens sont en éveils. Tu te sens prête à conquérir le monde avec ce nouveau regain d’énergie. Que dire de la sensation que tu aurais vécu en touchant cette pierre ? Tu comprends mieux maintenant l’attacher de ton cœur pour cet artefact.

Ton arrivée coïncide avec la disparition de la flamme créée. À peine poses-tu le pied dans la bibliothèque que ton troisième oeil te signale un fait étrange. La bibliothèque dégage du chakra, tu ressens une sensation d’emprisonnement. En temps normal, tout ceci est à peine perceptible, même pour un bon senseur. Tu ne sais pas où, ni comment, encore moins pourquoi, mais tu sais qu’un Fuinjutsu est à l’œuvre.

Peu à peu, tu sens ce gain d’énergie disparaître comme peau de chagrin. Ensemble, vous vous devez de percer les mystères de cette prison à ciel ouverte.

Le tumulte de la bibliothèque venait de trouver une première explication – toutefois, une question fermée en ouvrait deux de plus. Lors de son initiative, Sadaharu était tombé nez-à-nez sur ce chaos inexplicable, mais assurément récent, son petit groupe étant passé par la bâtisse indemne lors de leur arrivée à la Cour du Monolithe. Ainsi, le doute ne manqua pas de poindre. Quelle entité avait pu commettre cette débâcle ? Et surtout : se cachait-elle encore dans les parages, derrière une rangée de livres, ou pire, dans le dos des deux Shosei ayant pénétré le monastère ? Sa torche improvisée expulsant son dernier souffle de vie, l'alchimiste rejoignit les ténèbres de concert, aveuglant ses sens à cette chape noire de secrets. En le rejoignant, sa consœur avait décidé d'embrasser les mêmes contraintes, les deux amis d'enfance n'ayant développé aucun don sensoriel pour leur permettre de passer outre l'obscurité des lieux. Le balafré préférait compter sur ses outils et sa jugeote pour se sortir d'embûches. À quoi bon gaspiller son temps à développer des compétences autour de ce "chakra" alors qu'il ne serait bientôt plus qu'un lointain souvenir ? Décidant de prendre le taureau par les cornes, Sadaharu répliqua son idée, mais en appliquant cette fois une couche d'huile sur son sabre dégainé. Comme tantôt, il embrasa le produit à l'aide de son fragment de pyrite, l'étincelle amorçant le déploiement d'une vive lumière au sein de la pièce.


« Ouvre l’œil, Mir. »

Dès lors, le gamin des rues s'engouffra à toutes jambes dans les couloirs de la bibliothèque, avec l'envie profonde d'en découdre. Cette présence n'était pas invisible – il en était certain. Au premier carrefour, il s'arrêta net, son arme en guise de figure de proue, guettant ça et là l'éventuelle présence d'un cambrioleur celé. Et, dans le cas échéant, vérifiant si aucun artiste de cirque ne s'amusait pas marcher au plafond. Sa lame était prête à l'emploi.

Tandis que vous évoluez dans cette nouvelle situation, un amer sentiment se profile. Volatilisé. Ce qui a provoqué un tel remue-ménage n’est plus. La bibliothèque est vide. Éperdument vide. Rien ne se dresse à l’horizon. Ni silhouette protéiforme, ni animal ayant pu proférer un tel acte.

Ce pouvoir te quitte Mirai. Les dernières goutes de ce nectar antique se volatilisent.
Dans une ultime action, tu décides d’enregistrer le chakra provenant de ce sceau – terrer quelque part dans la bibliothèque. Un électrochoc te parcoure. Cette trappe dégage la même signature énergétique. Tu le sens. Tu le sais. Quelqu’un ou quelque chose veille sur ces lieux. Qui ? Quoi ?
Plusieurs questions s’agglutinent. Plusieurs portes s’ouvrent et se ferment.

Vous naviguez dans un nébuleux brouillard.

Sachiyo est fauché. Son corps sombre dans l’inconscience. Est-ce le contact avec la pierre ou l’une des ombres dansant dans l’obscurité ? Vous ne sauriez le dire. Cette information vous manque. Aucun bruit d’oiseau de son côté n’a su vous alerter.

Parvenir à trouver l’insidieux fuinjutsu serait vous être utile. Le comprendre et déchiffrer sa nature comme ses objectifs, aussi.
Bien que le lieu est vide, vous sentez une – voir plusieurs – paire d’œil guetter vos actions. La vérité fourmille toujours entre illusion et réalité.

Les capacités sensorielles de Tomoe Mirai aiguillait le groupe vers la trappe grande ouverte. Sadaharu, ayant fait chou blanc lors de son repérage succinct du monastère entourant le Monolithe, dut se résigner à rejoindre son amie. Il s’enquit simplement à imiter un bruit d’oiseau pour signaler à la Sorcière d’Ivoire qu’il y avait de l’action par ici, dans l’espoir qu’elle les rejoigne. Mais il n’allait pas l’attendre pour autant. Portant une main dans une poche spéciale de sa besace, il y extirpa une poignée de makibashi, qu’il balança entre les rayons de la bibliothèques telles des miettes de pain. Si une ombre se décidait de les prendre à revers, il marcherait à coup sûr sur ces chausse-trapes discrets, alertant la vigilance des deux Érudits par un hoquet de douleur.


Cette menue précaution assurée, Sadaharu rejoignit son amie et, sa lame commençant à s’éteindre, il rajouta une nouvelle couche d’huile poisseuse avant de pénétrer les ténèbres des souterrains.


La véritable aventure commençait seulement. Voilà pourquoi la « présence rôdant autour du Monolithe » n’avait jamais été prise la main dans le sac. Elle se cachait au nez et à la barbe des surveillants de la Cour.

« Je te suis, Mir. La sorcière ne devrait pas tarder ; elle verra notre lumière. »

Les chausses trappes sont disséminés avec malice. Un système de surveillance archaïque, mais opérationnel. Dans un commun accord, vous vous dirigez en direction de la trappe. La flamme vacille légèrement. Un courant d’air. Grâce à la luminosité qu’offre ta torche, Sadaharu, vous relevez une information importante. La dalle soulevée jure avec le décor de cette bibliothèque. Elle est plus ancienne.

Sans aucun doute possible, elle date d’une période précédant la fondation du village. Vos regards se croisent. Il n’est pas venu le temps de faire déflexion. Vos corps se laissent happer par l’obscurité.

Vous vous retrouvez dans un long couloir. De la mousse, des champions et divers autres germes parasitent la roche pluri-centenaires. Depuis une faille que vous ne percevez pas, de l’eau s’écoule au sol. Goutte par goutte. Tout ceci produit un écho mettant en exergue la longueur de l’endroit. Le courant d’air persiste. Toujours un peux plus. Il provient d’en face.

Votre vision est plus que limitée dans ce lieu. Vous ne voyez pas plus loin qu’à un  mètre de votre position. À mesure que vous avancez, vous ressentez une chape de plomb sur vos épaules. C’est spirituel, chakratique. Du chakra se terre quelque part. Le fuinjutsu ? Une bête ? Un élu... Autre chose ?
Après trois autres pas, plusieurs barreaux en aciers jaillissent de vos flancs. Des cellules. Vous arrivez, naturellement, à deviner que d’autres doivent hanter ce long couloir.

Un rêve éveillé. La flamme de la torche improvisée vacille de plus en plus. L’air se veut pestilentiel. Vous le remarquez enfin. Votre environnement est tatoué d’un nombre infinie de runes. Elles sont semblables à celle du monolithe. Certaines sont propres à cet endroit. Ce n’est pas tout. D’anciennes fresques, à moitié effacées, hantent le sol que vous foulez. Vous avez mit la main sur quelque chose d’antique.



Un fantôme, tout de blanc vêtu, se pose sur la pointe du monolithe. Avec les reflets lunaires, il ressemble à un ange tombé du ciel. Son faciès est scellé derrière un masque de kitsune. Aucun chakra ni présence physique ne se dégage de la silhouette immaculée, elle sait se maîtriser. Son regard reste poster sur la Sorcière d’Ivoire. Un unique signe incantatoire est effectué.

La découverte était capitale. Un réseau souterrain, celé dans les coulisses du monastère de la Cour du Monolithe, dans lequel Mirai et Sadaharu avaient trouvé de vieilles cellules. Au vu de l’état des barreaux, rouillés par le temps, il pouvait s'agir d'une construction centenaire. Les lieux n'étaient en rien humides. Ainsi, une ambiance pesante habitait les lieux. L'air semblait être vicié par l'ancienne décomposition d'un ou plusieurs cadavres. Peut-être les ouvriers ayant participé aux fondations du village par les trois clans fondateurs ? Peut-être quelque chose de plus ancien encore. La présence de cette myriade de sceaux ne rassura pas le balafré, qui commençait à présenter de gros progrès en matière de Fuinjutsu. Quel âge avaient ces sceaux-là, dissimulés de la surface ? À défaut d'avoir inventer un langage glyphé demandant du chakra lors l'émergence de celui-ci, le clan Kodama aurait-il simplement découvert ces symboles séculaires ? Sadaharu cherchait désespérément des réponses.

« Les démons n'existent pas. Les Érudits sont responsables de cette prison. La trappe du monastère nous a mené directement dans ce couloir ; ils protègent évidemment les lieux. Et si... »

Un frisson lui caressa l'échine.

« ... as-tu entendu parler de l'Ombre ? »

Une entité mystérieuse, une menace latente, une légende urbaine. L'alter ego du Grand Érudit. La seconde facette d'une même pièce, intrinsèque au clan Kodama. Était-ce l'une des entrées d'un complexe inconnu de tous ? Menait-elle vers un pan de l'Hypogée ? La clé du mystère se trouvait dans les sceaux présents aux alentours.

« Tout sceau doit être alimenté, sinon il s'épuise. Ils doivent être récents. Ou quelque chose de puissant les empêche de disparaître depuis la création de ces cellules. Dans tous les cas, c'est une découverte majeure. Reste à connaître leur utilité, maintenant. Je pourrais essayer de jeter un œil. »

Les connaissances théoriques de Sadaharu n'étaient pas très poussées. Mais il était toutefois davantage affin à l'art des sceaux que son amie. En manipulant directement l'un de ces sceaux, avec un temps d’interaction adéquat, l'alchimiste s'enquit à penser qu'il allait pouvoir y cerner un début de vérité. Ainsi, il se met à genoux devant une marque, se débarrassa de son lourd sac en bandoulière, et s'apprêta à poser ses mains dessus.

« Ces symboles muraux ressemblent à ceux du Monolithe. Nos ancêtres ont réquisitionné ce territoire pour une raison bien précise. Nous ne devrions certainement pas être là... »

Pourquoi le Grand Érudit les avait missionné pour enquêter sur cette ombre rôdant autour du Monolithe ? Sasaki Koubai n'était-il qu'un pantin désinformé, manipulé par une puissance datant de la Dynastie Sekigaku ?

« Je ne sais pas pourquoi nous devions surveiller le Monolithe, si la menace s'avère venir du clan lui-même. À moins que la menace est extérieure, et qu'elle a trouvé ce pour quoi elle venue en dénichant cette trappe... et ce souterrain. Si c'est le cas, nous avons raté notre mission. »

Sadaharu haussa les épaules. Sa curiosité l'avait aiguillonné. Ainsi, il se concentra sur le sceau pour essayer d'en découvrir le but, mêlant son affinité au chakra et ses connaissances modérées en sceaux afin de gratter la vérité.

Sachiyo, la voix n’est qu’un lointain murmure. Imperceptible. Inaudible. Plongée dans un comas artificiel, un voyage onirique enrôle ton âme. Face à toi, une forme gigantesque t’est visible. Toutefois, tu n’es pas en mesure de discerner ce que tu vois. Pour te préserver, ton cerveau transpose immédiatement l’image qu’il reçoit en une ombre protéiforme. Nul être humain ne peut préserver sa santé mentale face à la vraie forme de cet auguste personnage. Il est le Maître.

La voix t’appelle. Au plus profond de l’Hypogée. Un cri alarmant. Un appel de détresse. Il est encore trop tôt pour toi que de te relever.

De ton coté Sadaharu, ta main s’appose contre l’un des sigils. Tu n’avais jamais ressenti pareil énergie. Elle semble... instable, primitive, antique. Le fuinjutsu que tu cherches à décrypter est bien plus puissant que tu ne l’aurais cru, il y a une véritable volonté de masquer son intérêt. Pourtant, dans ta quête de réponse, tu te rends comptes que tous les pentacles dégagent le même Chakra. À l’image d’une ruche, ils sont tous reliés. Le fuinjutsu que Mirai a ressenti, en premier lieu, se trouve à une centaine de mètres devant vous. À même la paroi. Il faudra que tu te connectes à ce dernier pour pouvoir être en mesure de cerner les rouages de toute cette machination.

C’est une impasse. Ce corridor faisant office d’ancienne prison ne donne sur rien, si ce n’est un mur avec un gigantesque fuinjutsu inscrit dessus. L’arcane est écrite avec un liquide semblable à du sang. Au centre du sceau se trouve une forme singulière. Vous la connaissez. Vous le comprenez. Il s’agit du monolithe.

Mirai, ce n’est pas un brin d’obscurité et une antique civilisation disparue qui sauraient te faire peur. Sans te démonter, tu persistes dans ce long couloir. Ce n’est qu’un amas de cellule, de mousse et d’étranges runes. Certaines fresques – à moitiés effacées – met en image des hommes se battre contre des animaux.

Un bruit éclate devant toi. Celui d’un os qui se brise.

Le son provient de la dernière cellule avant l’impasse. Le coup se répète. Un autre os se brise. Ce qui se terre ne vous a pas encore entendu, ni même ressenti. Pour combien de temps encore ? Est-ce la chose ou la personne ayant ravagé la bibliothèque ? Tu le sauras bien assez tôt si tu décides de t’enfoncer un peu plus dans les obscurités de cette partie cachée. Une voix brise le silence des lieux. La voix est enrayée, à moitié brisée.

« L’Ombre. L’Ombre. Elle ne veut pas quitter ma tête. Elle veut ouvrir la clé.
— Oui. Oui. J’écouterai vos ordres.
— Pitié. Laissez moi en paix.
— Je m’excuse d’avoir touché le monolithe.
— Acceptez mon sacrifice. »

Le ton évolue. Cette voix vire du suraiguë au très grave. Il s’agit d’une unique personne. Au même moment, ton pied, Mirai marche, contre ton gré, dans une flaque de sang... ou de plasma ? Difficile à dire. La solution liquide est récente. Aussitôt, le bruit et les propos cessent. Vous êtes découverts. Le vent se veut plus fort. Vous êtes plongé dans l’obscurité.

Deux pupilles s’éveillent dans les ténèbres. Loin derrière vous, dans votre dos, au niveau de la trappe. L’ange, invisible, est sur vos traces. Il ne transpire aucune présence physique. Aucun chakra n’est dégagé. Le gardien a une totale maîtrise de sa personne. Ses pas ne font aucun bruit ; il flotte limite à quelques millimètres du sol. Vous n’avez rien à faire là. Tous les trois.

Il fallait se dépêtrer le plus vite possible de cette situation épineuse. Un cul-de-sac ; voilà le piège dans lequel étaient tombés Tomoe Mirai et Sadaharu. Enfermé au plus profond de cette étrange prison semblait décanter une reliquat d'être humain, aux paroles insensées. Et celui-ci parlait de l'Ombre. Est-ce que les deux Shosei étaient condamnés à sombrer dans le même état ? Pour l'esprit du balafré, c'était impensable. Il n'avait pas fait tout ce chemin, ni accumulé tant de savoir et de sacrifices, pour courber l'échine au premier danger venu. Cette silhouette terrée dans les ténèbres n'était rien. À deux, ils allaient pouvoir la maîtriser, et prévenir au plus vite les autorités du clan Kodama. Et cela tombait bien ; car la brute aux poings explosifs eut la même idée que l'alchimiste pyromane. Posant ses mains au sol, la jeune femme transféra une explosion depuis le sol pour venir frapper leur cible commune. De concert, Sadaharu extirpa une fusée de son barda accroché en bandoulière, et s'apprêta à allumer la courte mèche. Si le prisonnier zélé montrait le moindre signe d'hostilité, l'alchimiste n'hésiterait pas à se servir de son arme exotique pour refroidir ses ardeurs.

« Sors de ton trou ! »

Deux érudits se sont engouffrés dans un chemin qu’ils n’auraient jamais dû emprunter. Une silhouette se dresse au fond du cul-de-sac. Elle est grande, bien plus grande qu’eux. Dans les trois mètres de hauteur. Le corps difforme. Les mutations liées au chakra ont modifié son enveloppe charnelle à tout jamais ; à l’instant de son bras droit, son crâne est anormalement démesuré.

Vous le considérez comme un ennemi. Sans lui laisser la possibilité de se présenter, deux assauts le fustigent. Deux explosions successives retentissent. L’une causée par l’artifice alchimique et l’autre par la traînée de chakra. Étrangement, une partie de cette énergie que vous venez de libérer a été happer par les murs. Comme si quelque chose empêche la destruction du lieu. Une opaque nuage de fumée naît, il masque totalement la silhouette face à vous.

De cette fumée jaillit dix projectiles effilées. C’est trop fin pour être un kunaï. Trop petit pour être un senbon. Un mélange de kératine hautement résistant fend alors l’air en votre direction.

La masse informe quitte le smog. Une bonne partie de son hémisphère gauche a été meurtrie par l’explosion. Divers lambeaux de peaux calcinés trônent çà et là sur son corps. L’hydrocéphale retient ses larmes. La créature n’a pas toute sa tête, et c’est le cas de le dire. C’est un être horrifique ; un deuxième visage est fusionné à même l’épiderme de son front. Son bras distordu n’est que la fusion de trois bras.

« Mal. Mal. Mal.
— Pourquoi se faire mal à moi ? Il retient un sanglot.
— Vous pas gentil avec gardien ! »

La chose laisse éclater sa douleur. Le liquide lacrymale s’écoule. Il n’a pas tout sa tête. Il n’est pas normal. Une exotique créature ; un déchet, une erreur.

Le corps de l’entité face à vous voit l’intégralité de son corps de faire ceinturer par une dense couche de poils. La créature déborde de chakra et ne semble pas bien contrôler cette énergie. Une armure quasi-impénétrable. Il ne veut plus souffrir. Sans attendre, le char d’assaut sur patte vous charge. Il veut vous percuter. Il veut vous chasser.

Vous n’êtes pas les bienvenus chez lui.

L’Ange derrière vous n’occupe plus la sortie. Son corps s’est volatilisé dans ce conduit. Son regard vous cerne alors que vous n’êtes pas en mesure de lui rendre la pareille. Il veille sur sa cathédrale, à l’image d’une silencieuse gargouille.