Riku avait été convié à rejoindre une expédition qui allait pénétrer les terres de Kusa no Kuni en vue de l’exploration. Il avait été approché par des membres du clan Tsuruki, notamment la branche des Shashutsuki, ceux-là même qui l’avaient pris sous son aile et l’avaient installé dans le village. La délégation, composée de trois personnes, était venue rendre visite au forgeron, sous couvert d’une visite de courtoisie afin de jauger son état physique suite à sa grave blessure. Ils avaient discuté comme si de rien n’était pendant 30 minutes avant d’en venir au vif du sujet une fois qu’ils s’étaient assurés que leur protégé était désormais remis de ses blessures. Après tout, une saison entière était passée depuis l’hiver de l’an 2 et ce fameux épisode au Kiosque. Nous étions actuellement en été de l’an 3.

Ils présentèrent l’expédition comme un élément important pour le clan Tsuruki notamment sa branche Shashutsuki. La mission dans la mission que l’on donna au Kobayashi fut de détecter des zones ferrailleuses où dans un futur plus ou moins proche, il sera possible d’installer une mine afin d’y extraire le métal en vue de sa transformation. Présentée ainsi, Riku n’avait d’autre alternative que d’accepter la mission. Après tout, c’était indirectement son job de forgeron. On ne lui avait guère touché mot sur les risques énormes liés à l’exploration, encore moins sur ce massacre qui avait eu lieu un an auparavant. Cependant, à travers les mots, Riku pu saisir que des risques réels existaient. Quoi qu’il en soit, il était dos au mur, sachant pertinemment que sa marge de manœuvre était faible. Il avait été ménagé depuis sa blessure et le clan l’avait soutenu financièrement pendant cette mauvaise passe. Plus que jamais il leur était redevable. Il ne pouvait qu’accepter la mission.

Le jour venu, Riku se prépara convenablement. Il noua sur son dos son arme toute neuve qu’il venait de forger. Une belle lame à double tranchant dont un côté était coupant et l’autre avait des propriétés pour déchiqueter. Le marteau d’armes… C’est ainsi qu’il l’avait baptisée. Un arc était également pris, ainsi qu’un carquois de flèches attaché à son côté gauche. Aucune armure, Riku pour l’instant privilégiait la mobilité. Une armure l’aurait probablement alourdi, même s’il réfléchissait à se confectionner une cote de mailles légère.

Au final Riku était parvenu au point de rencontre avec ses frères d’armes. Il y trouva Trois personnes dont une seule qu’il connaissait : Watanabe Dodo. Les deux autres lui étaient inconnues. Saluant le groupe, le Kobayashi s’exprima en ces termes :

_ Salutations… Kobayashi Riku… On m’a dit qu’on serait au nombre de quatre. J’espère ne pas trop vous avoir fait attendre. Puis à l’encontre de Dodo : Comment vas-tu cher ami ?

Dodo et lui commençaient à bien se connaître. Ce n’était pas la première fois qu’ils se voyaient. Ce serait cela dit, leur première mission ensemble.

Le Kobayashi était tout simplement… sur le cul. Étonné serait un mot vain lorsqu’il dut faire face à cette transformation subite du personnage à l’allure patibulaires et aux manières de sauvages. Cela se sentait à mille lieux que le dénommé Inka avait quelque chose d’animal. Au premier coup d’œil l’on pouvait le comprendre. Cela dit, de là à s’imaginait qu’il pouvait totalement se métamorphoser, devenir cet animal enfoui dans son être. Riku n’en croyait pas ses yeux. Était-il en train de rêver ? Un coup d’œil vers ses pairs, la jeune femme et Dodo et Riku remarqua bien qu’il était le seul qui laissait transparaître ses émotions et donc son étonnement. Même la jeune femme semblait zen face à ce qu’il voyait. A croire qu’il était le seul d’ailleurs à avoir remarqué que le bestial était devenu animal.

_ Vous avez vu ça ? Mais il n’est pas humain ! Avait lâché RIku au bout de sa surprise. Non, il n’était pas au courant de ce genre de choses, il ne savait pas que cela était possible, au mieux il en avait entendu parler dans les contes et légendes véhiculées ci et là, mais jamais il n’aurait donné le moindre crédit à ce type de thèses qu’il avait systématiquement jugé farfelues. Une métamorphose quoi ! Et dire que des singes il en avait buté à la pelle à l'époque où son clan vivait hors du village... Avaient-il bouffé une fois de ce type d'humanoïde sans le savoir ?

_ Mais c’est quoi ce type ? Avait dit Riku à l’intention de Dodo. Ce dernier alors tenta des propos qui se voulaient rassurants. Riku pour sa part commençait déjà à suer. Non il ne serait pas à la hauteur. La transformation du bestial et même le côté animal de cet être qu’il avait du mal à ranger dans le genre humain lui faisait sentir qu’il n’était pas prêt. Lui et ses quelques techniques à base de bukijutsu… Si jamais ils devaient faire face à des bestiaux comme ce bonhomme.

Riku fut le dernier à avancer. Il laissa la troupe le devancer sans le vouloir vraiment. Au fond de lui, il hésitait ce qui détonait carrément avec l’attitude volontaire du bestial. Il le savait, il pouvait encore renoncer, pour sauver sa vie. Seulement, aurait-il une nouvelle chance de prouver sa valeur ? Il sera sûrement rétrogradé dans l’esprit des chefs du clan Tsuruki. Et aux yeux de sa famille ? Pouvait-il se permettre une nouvelle déconvenue après son échec au Jizen Ichi ? Fichtre ! La réponse était évidente. Il devait avancer et surtout survivre. Là était l’essentiel.

Ajustant son arme et son arc, Riku s’élança à la suite du trio.

Son étonnement passé, Riku avait repris totalement confiance en lui-même. Il ne cessait cela dit d’observer le chef de meute, ce singe qui filait à vive allure vers un objectif que lui seul connaissait. Riku était un chasseur, un forgeron chasseur, du moins dans son ancienne vie. Cette vie qu’il a mené jusqu’à l’âge adulte dans les plaines de Kusa no Kuni. La chasse, il connaissait, les longues courses à la poursuite du gibier. Cela dit, ces courses ne ressemblaient pas à celle qu’il était en train de subir. Sans s’arrêter, le singe maintenait un tempo soutenu. Si Riku n’avait pas eu des capacités un peu supérieures à la moyenne, il était clair qu’il serait tombé de fatigue il y a longtemps. Combien de kilomètres avaient-ils parcouru déjà ? Quelqu’un pouvait le lui dire ?

Dès que le singe s’arrêta, Riku stoppa sa course, bien heureux de pouvoir reprendre son souffle. Faisant de son mieux pour récupérer rapidement, le Kobayashi essayait de maîtriser sa respiration. En tant que chasseur, il savait que cette respiration pouvait mettre la puce à l’oreille au gibier à l’ouïe fine. Observant les réactions du primate, il vit que ce dernier réalisait les gestes de bien des animaux souhaitant revendiquer un territoire : il pissait ci et là, évidemment le plus souvent sur l’urine sèche d’un rival afin justement d’empiéter clairement sur son territoire. Riku fronça les sourcils à la vue de ce spectacle. Jamais de sa vie il ne considèrerait cet homme-primate comme un humain.

Riku jeta un regard sombre à Osonae lorsqu’elle lui demande de ne pas reculer. Pensait-elle qu’il était un pleutre ? Il voulut répondre quelque chose de cinglant, mais se ravisa. Ce que pensait de lui la Watanabe au final n’était pas important. L’avenir dirait qui est qui. S’avançant vers Dodo, Riku lui parla :

_ Il s’appelle comment déjà ? Avait-il chuchoté à l’oreille de Dodo en indiquant du menton le singe.

Puis Dodo avait fait tout un tas de recommandations en plus de se cloner. Il affirma qu’un clone resterait près du duo au cas où. La fierté du Kobayashi en prit un coup. Il n’aimait pas être materné. Il était un Kobayashi, un fier forgeron appartenant à une tribu guerrière… Ses sourcils se froncèrent davantage et il prit un air mauvais puisqu’étant frustré légèrement. Ayant réussi à contrôler sa respiration, le Kobayashi se souvint des gestes de chasseur. Il prit du sable et le laissa s’écouler finement afin de connaître la direction du vent. Lorsqu’il obtint l’information voulue, Riku s’adressa à ses compagnons d’aventure.

Mettons-nous derrière cet arbre. Le vent emporte notre odeur dans cette direction. Si l’animal que le primate provoque vient par là il saura déjà à qui il a affaire et nous ne serons plus les chasseurs à ce moment-là.

Riku agit le premier sans attendre. Il se posta derrière un arbre au tronc massif. Et attendit. Il était non loin du primate de chef d’équipe. Il pourrait intervenir au cas où. Sortant son arc, le Kobayashi s’apprêtait à recevoir leur invité commun.

Au final, l’attente se prolongea. Rien ni personne ne montra le bout du nez, pas même un lapin des forêts égaré qui se serait mangé une crise cardiaque en tombant nez à nez avec les chasseurs. Rien. Le bruit des oiseaux se poursuivait plutôt naturellement indiquant alors à suffisance qu’aucun prédateur inquiétant leurs besognes usuelles n’était en approche ou tapis dans l’ombre. Regardant le groupe, Riku remarqua que Dodo et ses copies de lui-même –comment avait-il fait ça ?- ainsi qu’Osonae étaient à découvert, attendant avec le singe-homme, l’arrivée du prédateur.

_ Ce ne sera pas pour maintenant. avait dit Riku en sortant de sa cachette. Il tenait toujours son arc et une flèche posée sur le bois de l’arme au cas où il faudrait décocher un tir dans l’urgence. S’étant rapproché du groupe, le Kobayashi remarqua l’air de Dodo. Il semblait légèrement, mais alors très légèrement froissé par quelque chose. Était-ce la situation qui le gênait ?

_ Tu repenses à cette dernière fois Dodo ? Qu’est-ce qui s’était passé ? Avait demandé le Kobayashi. Au même moment, l’homme-singe s’était mis en activité. Tel un boulet de canon il avait filé dans une direction après avoir détruit littéralement un arbre, laissant Riku plus que jamais déboussolé par ses réactions. Non Riku n’avait jamais vu un être pareil. Jamais…

_ Tu ne m’as pas répondu… Comment il s’appelle ce type ? Avait demandé à nouveau Riku en pointant du menton la direction vers laquelle l’homme singe s’en était allé.

_ Tu m’étonnes, je ne sais pas toi, mais je ne peux pas sprinter comme lui. Riku n’était pas Tarzan. Il n’avait pas les mêmes prédispositions physiques que le leader supposé de cette escouade.

_ Allons-y à notre rythme, même s’il serait plus indiqué de dire à cet homme-singe de calmer ses ardeurs afin qu’on reste ensemble. Il comprend notre langue au moins ?

Tant de questions qui devaient probablement donner l’impression au Watanabe d’être assailli, mais que faire ? Riku était tout simplement dépassé par les événements, ni plus ni moins.

Finalement, Watanabe Dodo avait pris le temps d’expliquer brièvement, malgré le contexte tendu, ce qui s’était passé un an auparavant, lors de la fameuse expédition suicide. Au final, l’expression ne rendait pas correctement son nom dans la mesure où un seul des missionnaires avait perdu la vie vraisemblablement. Cela dit, les conditions de cette mort avaient dû être désastreuses. Obliger des collègues à livrer l’un d’eux à la mort pour la survie des autres… La tension avait dû être au paroxysme et il était évident que personne ne s’était dévoué pour ce sacrifice. En ce cas, probablement le plus faible du groupe avait été jeté en pâture. Riku s’était arrêté à cette pensée. Jetant un regard sur son homologue forgeron il se demandait :

_ *Et qu’as-tu fait Dodo ? Tu as livré l’un des tiens ?* Pensa le Kobayashi. Dodo à ses yeux était un homme avec toutes les qualités morales qui faisaient de lui quelqu’un de fiable. Riku avait du mal à s’imaginer qu’il ait pu se salir les mains à ce point auquel cas, il était normal qu’il soit marqué au fer rouge par cette expédition. Parfois le contexte est tel que l’on a pas le luxe de choisir nos actes. Ils nous sont imposés. Riku voulut poser tout un tas de question en lien mais il se limita à celle qui lui semblait la plus cruciale :

_ Et on retourne vers le même endroit que là où vous étiez allés ? Avait-il lâché sans craintes. Si la réponse était oui, alors le pic de méfiance envers ses collègues du jour allait grimper en flèche. Il y avait la Watanabe silencieuse puis Dodo et l’homme singe qui visiblement se connaissaient. Certainement ces deux-là était de l’expédition suicide. Peut-être même la Watanabe. Lorsque Dodo congédia celle-ci, la méfiance du kobayashi augmenta sensiblement, quand bien même il fit de son mieux pour ne rien montrer. Non. Il ne comptait pas être l’agneau du sacrifice. Ça jamais. Et lorsque Dodo demanda au Kobayashi de garder les yeux ouverts, ce dernier préféra s’armer de son marteau d’arme et d’accrocher son arc à son dos en faisant passer la corde au niveau de sa poitrine. Avec son arme, il se sentait en sécurité.

_ OK Dodo, je ferai de mon mieux. Avait lâché le Kobayashi en suivant son homologue.

Alors qu’ils avançaient tous deux dans le sillage de l’homme singe, le duo remarqua que la direction vers laquelle était partie le dénommé Inka avait connu un soudain changement météorologique. Alors que le temps faisait beau, il se mit curieusement à pleuvoir et à lâcher des orages dans la zone où avait disparu l’homme-singe. A la question de Dodo, Riku se contenta d’un grognement pour dire qu’il avait vu la même chose que le Watanabe. Il n’aimait pas ce qu’il voyait. Pas du tout, mais il fallait bien avancer. Il se contenta alors de suivre Dodo. Etre à ses côtés était probablement la meilleure chose à faire s’il souhaitait survivre. Dans un coin de sa tête, le Kobayashi gardait cependant l’itinéraire emprunté pour arriver jusqu’ici. Il ne fallait pas se perdre.