Son corps ancré dans le sol, ses muscles tendus par sa détermination, son souffle lourd empli de volonté, rien ne viendra faire douter l’érudit. Sa vie ne lui appartenait plus désormais. Il l’avait dédiée à ce cerf opalescent. Tout sacrifier, ses rêves, sa fierté, son ego, son identité, tout avait été effacé. Il n’existait que pour servir cette entité, ce Patriarche, ce Gardien. C’était sa destinée, il devait s’y résoudre. Cette conviction profonde fut source d’une paix intérieure et d’un apaisement certain, il n’avait plus à lutter, à se cacher, à souffrir en silence. Non, à présent, il était serein. Renoncer à qui il était, lui fit comprendre toute la futilité de la vie humaine, de ses remous, de ses peurs et de ses envies. Il n’en faisait plus partie désormais. Akemi Ren était devenu autre chose.

Quant aux vents, ils l’enveloppaient, le caressaient. Ils avaient compris et accepté son choix. Le regard dur et plein de résolution, suivant l’ascension de volutes venteuses, il observa l’éclipse qui, bientôt, arriverait à son paroxysme. Puis, suivant les brises descendantes, il posa ses yeux bruns sur ses anciens camarades. De violentes bourrasques les entouraient, les tourmentaient en silence. Décidément, les humains n’apprendront jamais, quand est-ce qu’ils écouteront les éléments qui les entourent, pensa-t-il. Oui, il s’excluait de ce constat. Depuis que les quatre « murmures du vents » s’étaient dévoilés à lui, sa conscience avait quitté le monde des mortels. C’était du moins sa croyance. Le savant, emporté par ses visions et ses sons ne lisait plus le monde de la même façon. C’est ainsi, que guidé par les rafales et les bourrasques, dues à la folie de ses compagnons d’autrefois, il distingua tout autour du monolithe un courant puissant, une tornade, un ouragan. Était-ce de bon augure ? Ou un avertissement ? Confus, le trentenaire avait du mal à discerner l’intention des fils d’Eole. Que faire ? Il ne pouvait pas agir sans que le vénérable cerf ne parle… Ses iris ne sachant quoi fixer, dessinaient de nombreux allers et retours entre la stèle, la bête et les sauvages. Patient, il attendait l’ordre.

Pourtant, rien ne vint. Le vide. Le néant. Tout fut détruit et remit en question. En quelques instants, en quelques actions, en quelques mots, tout était anéanti. L’homme tatoué fut témoin de sa propre fin. Non pas que la mort l’embrassa de son baiser glacé, mais plutôt qu’à nouveau sa destinée et sa témérité furent bouleversées. La tempête s’abattit. « L’air du vent » se teinta d’un rouge cramoisi. Les flux de Chakra, que les bises nocturnes soulevaient, s’entrechoquèrent. Le fracas de ce rock violent et massif résonnait dans les tympans du Shosei. Il n’arrivait plus à réfléchir, à voir, à entendre. Les éléments le dominaient, la harcelaient, le brisaient petit à petit. Cependant, il resta debout, noble, impassible. Le fier Kodama ne voulait pas trahir ses sentiments et ses tourments devant les autres élus. Il fallait résister à ce typhon élémentaire. Difficile fut la tâche, ses jambes tremblaient, son corps frissonnait, son esprit hurlait de douleur. Mais il demeura debout.

Pourquoi tant de chaos, d’agressions et de souffrances ? Qu’avait donc-t-il fait pour s’attirer la colère divine ? Comment les vents avaient-ils pu ainsi se mouvoir et se retourner vers leur interprète ? L’explication était simple, limpide et courte : le sceau était en train de s’ouvrir par la faute des hommes. Pour comprendre ce drame en trois actes, il fallait suspendre le temps en divers endroits. Ainsi, le commencement pouvait s’intituler « la peur appelle la barbarie ». Dans cette scène théâtrale, une partie des scientifiques avaient succombés à la frayeur et essayés par instinct de se protéger en tuant, agressant les cervidés à la peau d’albâtre. Après Tengen et son impressionnante déferlante de chakra, la folie macabre du tueur à la pelle, ce fut au tour de Zaraki, le télépathe, d’amorcer un coup. Le sang, allait-il encore couler ? C’était la hantise et l’angoisse de l’homme aux cheveux longs.

Quant au nom du ballet suivant, il se résumerait à « L’ultime révérence des cerfs ». En effet, que ce soit par la voix déclinante du Lieutenant de Kusa, son chant du cygne, ou par l’image très forte de ses héritiers, tous têtes baissées par crainte ou leurs bois encastrés dans la terre ; il était à présent évident que ces entités inconnues allaient quitter ce monde. Les deux anges, aux dons relevant du divin, perçus initialement comme un danger potentiel, avaient au contraire pacifié et arrêté tout acte belliqueux, grâce à une danse gracieuse et aérienne. Cette représentation, sublimée par les lueurs du firmament de l’éclipse lunaire, marquait une rupture. Il était évident qu’au vu des actions de l’ange gardien du monolithe et de son partenaire, des secrets sombres entouraient cette stèle et ces créatures mystiques. De plus, cela renforçait l’idée que Ren avait fait le bon choix en prenant le parti de « l’essence de la Forêt Blanche ». Cette confirmation aurait pu apporter du réconfort, un soulagement, mais il n’en fut rien. A ce moment précis, voyant son allié perdre en éclat et ses blessures se raviver de toutes parts, il ne put que succomber au chagrin et à la détresse. Il n’était pas prêt à le perdre, lui et tout ce qu’il représentait. C’était son guide, sa nouvelle raison de vivre, sa destinée, il était trop tôt. Il n’avait pas eu le temps de lui transmettre tous ses savoirs. Ses jambes tressaillirent, il résista à l’envi de tomber au sol de désespoir, ce n’était pas encore fini après tout. La torpeur et de fortes émotions s’agitaient en lui, les « murmures du vent » voyant leur porte-parole aussi agité, commencèrent à s’animer d’une passion chaotique, eux aussi étaient impactés par le ressenti brutal et douloureux du mortel. C’est à partir de ce moment-là, que l’ouragan invisible se forma autour de l’être chétif.

Le tableau qui s’en suivit pouvait être connu sous l’appellation « de l’écarlate né les adieux ». Le sang de l’innocent ayant coulé, les symboles se situant sur la pierre se mirent à se colorer d’un rouge sanglant. Les bourrasques se teintèrent du même ton flamboyant, créant un voile cramoisi autour de la roche sacrée. La conjonction des rayons mystiques, dus à l’alignement des astres, et de la brutalité de l’érudit au masque macabre, avait déclenché un mécanisme antique. L’éclat vermillon du « trésor des Kodama » fut bientôt suivi par l’apparition de cercles étranges. Puis ce furent le tour des corps des enfants du grand cerf mourant qui se recouvrèrent de glyphes. Ils étaient de la même nature que ceux qu’avait recueilli le gardien des archives secrètes précédemment. Enfin, ces sigils retournèrent au sol, complétant ainsi une première phase de ce qui semblait être la libération d’un sceau ancien et tabou. Le spécialiste en fuinjutsu reconnaissait tous les signes. L’activation, tout d’abord, selon un processus bien établi, sûrement lié à l’apparition de cet Avatar de la Sylve si particulier. Ce dernier pourrait être la représentation de la volonté du sceau ou de son créateur, une épreuve à destination des hommes, qui sait... L’apparition de glyphes et de lignes formant les contours intangibles du Fuin oublié, ensuite, complétaient le rituel ancestral. L’éveil, enfin, de ce qui semblerait être la clé de tout ceci, le monolithe, faisait naître un sentiment d’impuissance chez Ren. Ce phare écarlate revêtait une puissance sans pareil qui tranchait avec la sérénité et la contemplation qu’appelait cette soirée. Tant d’éléments, tant de questions, tant de menaces, c’étaient tous ses facteurs qui assaillirent l’érudit et le poussèrent à arriver aux portes de la mort.

Le contraste entre ses attentes, son nouveau dévouement et la disparition inévitable de la source de sa nouvelle destinée, fit envoler toute once de logique, de réflexion, de recul chez le Kodama. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Même si son corps restait de marbre, constamment sur le qui-vive, prêt à attaquer, à exécuter les désirs de l’être chakratique en déclin, son esprit lui n’était plus. La crise était profonde. Il venait de perdre à nouveau tout espoir, toute sérénité, toute quiétude. Son for intérieur était de nouveau rongé et consumé par des passions contradictoires. Le savant avait de nouveau perdu tout ce qu’il était, son identité, ses ambitions, ses résolutions. Il se sentait si vide et en même temps, il débordait de douleurs et sentait un vice profond lui tirailler sa gorge, son estomac, son cœur… Il désirait crier, hurler, se blesser pour se libérer d’un tel supplice, néanmoins son orgueil le lui interdisait. Alors en silence, il essaya de se raccrocher à ce qu’il pouvait, cherchant la moindre solution à sa situation. Vidé de toute envie de vivre, il se tourna vers l’immortel. Peut-être que lui, aura des réponses. Doucement, l’homme tatoué l’observa, le toucha la tête d’une main tremblotante et dans un murmure empli de regret, il libéra son cœur.

- Oh grand Gardien de la Sylve, je tiens à te présenter mes excuses. Je n’ai pas suffisamment été fort pour arrêter ce drame, ni assez convainquant pour raisonner les Hommes. Je n’ai pas pu te sauver… J’espère que dans ta miséricorde, tu pardonneras ma faiblesse et mon incompétence. A présent que tu disparais, je comprends qu’encore une fois, je me suis fourvoyé. Ma destinée ne résidait donc pas dans le fait de te protéger toi et les tiens… Peut-être, est-ce un nouveau défi envoyé par les tisseuses de Destin… Peut-être, est-ce ce monolithe qui recèle la Vérité sur ma destinée… Les vents m’appellent, m’ordonnent d’agir… Je ne peux plus rester un simple témoin de l’Histoire. Je ne peux plus les ignorer, plus maintenant, il est trop tard en effet… Vas en paix, je m’assurerais que ta volonté soit faite, je ferais en sorte que l’humanité expie ces fautes. Ma vie t’est dédié, à toi qu’ainsi que tous ceux qui protègent ce monde de la folie des mortels. Adieu, mon ami.



Une fois, ces trois derniers mots énoncés, les vents violents éclatèrent en un souffle imperceptible par les autres élus. « Les murmures du vent » avait retrouvé leur calme olympien. La colère, la rage et la détermination de Ren venaient de retrouver des couleurs. Il avait dompté ses doutes, ses tourments et avait retrouvé une raison de vivre, un nouvel avenir. Le calme était enfin de retour. A quelques détails près, il aurait pu tomber dans la folie, sans plus aucun repère auquel s’accrocher. Ses sentiments violents l’auraient alors dominé et poussé à devenir un sauvage comme ses autres mercenaires. En réalité, ce monologue, débordant de sincérité, avait eu pour effet de réveiller la conscience du Shosei. Ce dialogue à une créature étrange, au pelage si intriguant, avait permis à l’homme à la cape de se reconstruire une identité. Ou plutôt, d’évoluer vers un autre plan de conscience. Il s’éloignait encore plus de son espèce originelle. Il se considérait à tort ou à raison, le serviteur des quatre fils d’Eole, de la Nature et de ses Gardiens. Quel parcours… D’un être ambitieux et fier, voulant connaître tous les secrets du Chakra et de son cristal énigmatique à tout prix, quitte à enfreindre la morale. Il se prit pour le bras armé d’un Cerf géant ancestral, prêt à satisfaire tous ses désirs, en toute humilité et servilité. Pour finir par devenir un défenseur de Dame Nature et de ses diverses représentations, afin de comprendre le monde auquel il appartenait désormais.
Lentement, il contourna le monolithe, afin de s’assurer que personne ne soit derrière lui, ni devant le monument ébréché. Là, il contempla sûrement pour la dernière fois, le doux bal que lui offraient les quatre divinités du vent. Ce spectacle apaisa son cœur. Oui, c’était la bonne chose à faire, il n’avait aucun doute. Il assumerait toutes les conséquences. Il sourit légèrement. Ce n’était pas par plaisir, mais plutôt car il se sentait de nouveau serein. Sûr de lui, sûr de son destin, il était déterminé. La mort ou le châtiment des siens ne lui faisaient pas peur. Une grande inspiration. Ses jambes et ses pieds amorcèrent une position stable, solide, ancrée dans le sol. Ses poings serrés, l’archiviste sentit battre ses sceaux, ils étaient sur le point de céder. Le tourbillon de vent, dont il avait revêtu son poing droit, semblait lui aussi avoir du mal à se maintenir. Ces stigmates de fatigue, ou peut-être plus de sa précédente instabilité mentale, étaient un douloureux rappel de son manque d’entraînement et de maîtrise de ses pouvoirs. Il ne pouvait qu’en vouloir à lui-même. Si la mort n’était pas au rendez-vous, il se jura de prendre plus de temps pour manier ses arts. Dans tous les cas, c’était le moment ou jamais d’utiliser tout ce chakra, pas le temps de tergiverser. Lançant un ultime regard vers la créature luminescente, comme pour se donner du courage, il chercha vainement son approbation. C’est alors qu’une illusion frappa l’esprit de l’intellectuel.

Tous les propos de l’être ancestral lui revinrent en mémoire, tous le lexique mystérieux, tous les râles de souffrances, son agonie dans ces derniers mots… La clef, la sépulture, le Grand Temple, tout ceci était si obscur, loin de sa compréhension. Cependant, le Patriarche souffrait de cette situation, ce fuinjutsu n’apportait que malheur, il fallait mettre un terme à tout ceci. Bien entendu, l’élu manieur d’encre en voulait à l’humanité, à ses barbares sans aucune empathie, ni même respect pour l’inconnu. Mais il canalisa sa fureur, ce n’était pas le moment d’agresser les autres, patience… Non, là, il devait se concentrer sur son action décisive. Était-il prêt à prendre un tel risque ? Oui, sans l’ombre d’un doute.

Il plaça alors ses mains à sa taille, basculant sa hanche et sa jambe, pour donner plus d’énergie. Ses deux poings face à face, formant deux points d’impact symétriques et espacés de quelques centimètres. Là, il orienta tout son chakra vers cet endroit. Toute sa volonté, toute sa haine, tous ses remords furent emmagasinés dans ces mains serrées. C’était l’action de sa vie, la dernière flamme de son existence, l’ultime héritage qu’il laissait au monde. Sans regret, il visualisa la scène en avance, calcula toutes les conséquences d’un tel acte. Oui, il n’aura aucun remord, Ren aura agit au nom de ses croyances, ses désirs et sa destinée. Là, cet endroit, c’était ici qu’il fallait frapper pour être le plus efficace.

En un coup, un seul et unique, il diffusa tout son chakra et sa force en un endroit précis. Cela sera-t-il suffisant ? Le cerf sera-t-il satisfait ? Agira-t-il comme le désir la nature ? Trop tard pour les questions, les poings contenant le chakra des deux sceaux libérés et d’un gant de vent fondirent sur la cible et soulevèrent des dizaines d’éclats. Le coup violent et son écho se firent entendre à des lieux à la ronde. Ne maîtrisant pas une telle force, les bras et le corps du Shosei furent envoyés en arrière, loin de l’endroit de l’impact. Que ce soit par la puissance du coup ou par l’envol des nombreux minerais, le corps de l’érudit fut assailli de multiples blessures. De plus, le revers d’un tel coup fut qu’il était au bord de l’inconscience, sa fatigue était intense, il luttait pour observer les retombés de son attaque, avait-il réussi ?

Après plusieurs rebonds, ensanglanté et sonné, il usa de ses dernières réserves d’énergie pour clamer ceci :

- SI LE MONOLITHE EST LA CLE DU SCEAU, POUR STOPPER L’OUVERTURE, DEPLACER LE LOIN DE SON ANCRE. SANS ENERGIE, SANS L’ALIGNEMENT DES ASTRES ET DE LA STELE, PLUS RIEN N’ALIMENTE SON OUVERTURE.

En effet, au lieu de détruire le « bien sacré des Kodama », le trentenaire jugea de meilleur ton de le déplacer violemment. En insufflant suffisamment de force dans son coup dirigé vers son socle terreux. Le vent, sous-pression, soulevant la terre afin de toucher le pied de la roche imprégné de runes, les poings diffusant dans le sol et la roche un impact extrêmement intense, leurs actions combinées avaient réussi à faire basculer l’édifice. Puis, ce fut au tour de la gravité de faire son œuvre.

Ravi de voir son ultime action concluante, il espérait que pour une fois les hommes se montrent à la hauteur. Sans détruire le monolithe, ils avaient encore une chance de rencontrer le cerf lors de la prochaine éclipse lunaire, et peut-être que cette fois-ci, ils apprendraient de leurs erreurs… Tout en sombrant petit à petit, les yeux mi-clos, il souriait. Il voulait tant revoir le Gardien, comprendre ces mystères, il avait tout fait pour que cela soit possible, du moins il l’espérait.

Résumé:

Son corps et son esprit étaient assaillis par l’agonie et le désespoir. Les « murmures du vent » s’étaient tus, l’archiviste se retrouvait de nouveau seul, perdu, sans personne pour le guider. Ses muscles endoloris, ses bras broyés par l’effort surhumain qu’il avait accompli et les multiples plaies ouvertes faisant rougir ses habits, ne lui laissaient que peu de chance de survie. Il accepta sa mort, sans peur et sans doute. L’être aux portes de la mort ferma peu à peu les yeux, n’ayant plus la force d’assouvir sa curiosité et de voir s’il avait réussi à sauver le monolithe. Néanmoins, il avait un mauvais pressentiment. Pourquoi les vents n’étaient plus là, l’avaient-ils abandonné ? Avait-il fait une erreur ? Avait-il trahi sa promesse faite au cervidé ancestral ? Était-il aussi pathétique que ses humains, enchaînant sans cesse les erreurs sans jamais apprendre ? Empli d’inquiétudes, d’angoisses, de tourments, le Shosei sombra dans un état proche du coma.



Emporté dans ce monde onirique, où son esprit devait être le seul maître, Ren ne s’attendait pas à une telle épreuve. Le voile blanc qui d’ordinaire couvrait les moindres parcelles de cet endroit, se déchirait peu à peu pour faire apparaître les tréfonds de la Forêt Blanche. Suite à ce changement brutal, hagard et confus, l’érudit essayait d’inspecter le moindre recoin, de comprendre pourquoi il avait atterri en un pareil décor. Soudain, deux ombres le bousculèrent pour se placer devant lui. Ces masses informes, vaguement anthropomorphiques, s’imposaient à lui. L’une blanche, l’une noire, le trentenaire crut au départ qu’il s’agissait des deux individus ayant stoppés le précédent bain de sang. Mais lorsque les voix, sombres et profondes, jaillirent de ces entités, la confusion était totale.

Entité noire : - Pourquoi me négliges-tu ? Ne t’ai-je pas aidé dans le passé ? Ne suis-je pas ton ami depuis le temps ? Depuis qu’il est arrivé, tu n’as plus d’yeux que pour lui… Alors que je pourrais t’apporter tant, je t’en prie, arrête de me négliger. Cela me fait tant souffrir… Pense à tout ce qu’on a accompli ensemble !

Entité blanche : - Il dit vrai… Tu te reposes trop sur moi, tous les trois nous ne sommes qu’un, ne l’oublie pas… Tu dois comprendre que si tu oublies l’un de nous, c’est toute notre identité et notre vie qui est en péril. Entends notre avertissement, Akemi Ren.

Entité noire : - L’équilibre est la clé, ne nous penses pas comme des entités séparées, mais plutôt… Comme un tout.

Posant le dernier mot de sa phrase avec gravité, la silhouette noir de jais se rapprocha de l’autre, pour n’en former qu’une seule chose. Un immense courant noir, aérien et volubile prit alors vie sous les yeux ébahis du scientifique. Ça y est tout était clair, il savait qui étaient ses apparitions. Il s’agissait de la personnification de son chakra et des deux pouvoirs qui l’habitaient. Excité par cette découverte et voulant leur parler, il s’avança, tendit la main pour rentrer en contact avec eux, quand soudain, sans raison apparente, ils s’évanouirent telle une ombre exposée au soleil.

- Espèce d’imbécile. Ren, toi qui te penses si brillant, tu te mets dans un état si lamentable dans une situation si critique ? Tu n’es qu’un idiot. Tu ne mérites pas d’être confondu avec les grands esprits de Kodama. Mais je n'ai pas ma place non plus parmi ces grands esprits. Nous étions face à un puzzle, et je n'étais pas capable de déplacer la moindre pièce. Alors si tu n'as plus la force de continuer, je serais tes muscles. Tu seras le cerveau. Maintenant que tu es sous mon aile, je t'interdis formellement d'y passer, scientifique stupide.

Ses mots surgirent du néant, ce sont eux qui avaient fait fuir les deux autres facettes de Ren. Ce dernier reconnu cette voix, c’était le médecin aux cheveux d’argent… Alors ainsi, malgré leurs différents points de vue, il l’aidait… Il l’avait mal jugé, son âme était finalement noble, derrière sa façade affable et distante… L’archiviste n’oubliera pas ce geste. Une dette venait d’être contractée.
Puis une rafale de vent noir souffla, guidant l’élu vers un bosquet digne de l’Elysée. A mesure qu’il se rapprocha, il vit le fameux Cerf géant trônant en maître en ce décorum divin. Aussitôt, Ren accourut et posa un genou à terre par respect, tête baissée, il attendait les propos sacrés de son « allié de circonstance ». Là, le Patriarche apposa son sabot sur le cœur de l’homme fébrile.

- Grâce à ton sacrifice, la sépulture du maître est enfin libérée. La maudite clé est détruite. Ne laisse pas Rakka s’accaparer ce pouvoir. Investis le Grand Temple. En cette terre, tu seras mon héritier. Mon Maître saura récompenser ta loyauté.

Ces paroles se répétèrent en boucles, dans des échos de plus en plus lointains. A mesure que les paroles se perdaient dans l’air, une bourrasque noire se leva, emportant tout sur son passage. Peu à peu, les fleurs, les arbres, le cours d’eau, le Gardien de la Sylve furent emportés. Ren ne fut pas en reste, ce typhon bienveillant le propulsait loin d’ici. Et, au fur et à mesure que ce phénomène s’amplifiait, l’érudit percevait qu’il était revigoré par une énergie mystérieuse. Était-ce l’ultime cadeau du Lieutenant de Kusa ? Sa façon de faire à lui, de dire adieu et remercier l’interprète des « murmures du vent » ? Ce chakra si doux, si chaleureux, si intense… L’homme à la cape noire avait l’impression de renaître une seconde fois. Ce sentiment grisant émerveillait l’homme aux connaissances parcellaires. Lui, qui se croyait déjà condamné, venait de recevoir une nouvelle chance et une nouvelle mission. Arrêter le fondateur du clan Kodama, l’empêcher de subtiliser le bien du Cerf ou plutôt de son Maître. Sans aucune trace de doute, avec la conviction d’un fanatique, il avait accepté sa destinée.



Un sursaut et le voilà de nouveau parmi les vivants. Le Shosei jeta un regard à ses anciens camarades, tous semblaient endormis. Le monolithe, quant à lui, manquait à l’appel comme l’avait signalé l’entité chakratique. Il se leva avec une énergie sans pareil, le chakra du Cerf avait eu des propriétés exceptionnelles. Plus aucun stigmate de lutte et son corps bouillonnait d’énergie. Quel don du ciel, il remercia mentalement l’être de la forêt de tout son cœur et de toute son âme. Il était quelque peu dérangeant de rester avec des vêtements maculés de sang, c’est pourquoi il enleva le superflu, laissant apparaître son torse tatoué de toute part. Par réflexe et ne sachant pas comment les Kodama allaient réagir, Ren se concentra et fit converger ses tatouages en trois points distincts, ses deux mains et sa jambe droite. Prudence était de mise dans ces circonstances, surtout qu’aux dires de son guide spirituel, Rakka errait dans l’ombre et était un danger à ne pas sous-estimer.

Soudain, le sol se mit à bouger, ou plutôt à descendre. Tout le groupe s’enfonçait dans les entrailles de la terre, de l’Hypogée plus précisément. Surpris par une telle architecture, par un tel savoir enfoui et par l’aspect antique de ce « Temple », l’archiviste reprit son habituel réflexe et annota tout ce qu’il pouvait. Ignorant tout ce qui l’entourait pour se focaliser sur son travail. Au fur et à mesure de la descente, le papier se noircissait de détails plus ou moins pertinent, quelques croquis venaient même se rajouter parfois quand l’occasion se présentait. Une véritable extase avait frappé l’érudit. Si bien qu’il n’attendît pas que la plateforme soit arrivée à destination pour s’élancer dans le décor titanesque, en sautant avec adresse. Quelle joie d’assister à tout cela. Néanmoins, tout ceci ne fut rien comparé à l’orgasme que représentait cette gigantesque porte. Il était obnubilé par elle, oubliant tout le reste. Les fresques furent immédiatement décrites et reproduites. Au vu des détails que le scientifique relevait, c’était l’entrée du tombeau du maître du cerf. Il fallait à tout prix continuer. Mais que faire de ses autres mercenaires ? Comprendrait-il l’importance que relevait cette découverte ? Allaient-ils le laisser accomplir son destin ? Il fallait les convaincre. Il s’arrêta quelques mètres avant la fameuse porte, se retournant vers ses camarades, il hurla de toutes ses tripes ces mots :

- Kodama ! Je sais. Vous m’en voulez pour le monolithe et c’est bien normal. Moi-même, je ne m’attendais pas à un tel résultat. J’en assumerai les conséquences, soyez en sûr. Cependant, au vu de cette découverte majeure qu’est ce « Grand Temple », nos priorités doivent changer. Ces lieux recèlent de nombreux mystères, homme de science que vous êtes, vous ne pouvez restez de marbre face à une telle merveille, cette orfèvrerie est tout bonnement exceptionnelle ! Si le sceau est brisé, comme nous le redoutions tous, dois-je le rappeler, nous devons agir pour sceller ou annihiler la menace qui pèse sur Ayatsuyu. Je vous prêterai ma force, mon honneur me le dicte.

Il valait mieux taire son allégeance au Patriarche et à son Maître. Les autres ne comprendraient pas, surtout si Ren désignait le respectable Rakka comme ennemi. Non, il fallait rester prudent, se méfier des réactions de ses anciens compagnons.

Résumé:

Dos à la porte et aux savoirs qu’elles renfermaient, l’érudit put assister à la débâcle et à l’amateurisme. Quelle vision pathétique, ses mots s’étaient perdus dans l’immensité de la salle… Personne pour y répondre ou pour l’écouter, son sentiment de solitude n’en fut que renforcé. Était-il le seul savant digne de ce nom ? Ses anciens comparses, avaient-ils perdu la raison ? Comment se réclamer du clan Kodama et agir comme un parfait rejeton Shinnin. La déception se lisait sur le visage de Ren, il ne fit aucun commentaire, aucune action, il n’avait pas envie de rentrer dans ses luttes intestines inutiles. Muet et statique, son corps se contenait pour éviter une effusion de rage et de sermons. Des enfants, il s’agissait d’individus totalement enivrés par leur pouvoir et leur ego. N’avaient-ils donc aucun respect pour ses lieux plein de mystères et de mythes ? Ne pouvaient-ils pas se contenir et épargner à cette sépulture un spectacle aussi navrant ? Si seulement il avait eu la force de les calmer… Néanmoins, il n’était rien, impuissant, seulement en quête de connaissances, de vérités et à présent de son « Maître ».

En premier, un esprit vif se détacha de la toile de fond, Sadaharu, qui dans un élan rapide dépassa l’archiviste. Le suivant de son regard abattu, ce dernier comprit que le balafré faisait rempart de tout son corps. L’exploration de ses ruines prenait fin. Quel gâchis. Bien entendu, l’intrus devait quitter et oublier ce Grand Temple, quitte en payer le prix de sa vie, si l’honneur des Kodama était compromis. Mais les autres érudits, pourquoi se priver d’une ressource d’information aussi précieuse ? Pourquoi agir une nouvelle fois en mercenaire et non pas en tant que chercheur ? La vérité ne s’offre-t-elle pas à eux ? Les secrets de ce monde sont peut-être ensevelis en cette cavité, qui sait ce qu’ils pourraient trouver en prenant la peine de déchiffrer ces fresques qui ornent cette porte titanesque… Et voilà, qu’il faudrait renoncer, dire adieu à tous ces bijoux architecturaux et archéologiques, c’était insupportable. Pourtant, l’homme au torse-nu ne fit rien, il resta spectateur, du fait de sa faiblesse. Il haïssait ce rôle, mais il n’avait pas le choix, son instinct de survie et sa raison lui ordonnaient de rester passif.

Ensuite, un immense fracas, accentué par l’écho, fit pivoter la tête du Shosei, passant de la vision d’un Gakusha à un autre. Tengen avait plaqué le soi-disant Shiro contre le mur à l’aide d’une attaque à base de chakra. Ce fut une vision d’horreur pour le passionné d’histoire, il violait l’intégrité de ces lieux avec le sang d’un ignare, d’un impie, d’un parasite. Vraiment, l’élite du clan Kodama avait perdu l’esprit et ne concevait plus clairement leurs priorités. Revenant vers son homologue, l’homme aux cheveux carrés menaça de nouveau Ren, le mettant dans le même panier que l’autre énergumène. Ainsi, rien n’avait changé. Ils étaient encore pris par le passé et ne voyaient pas le potentiel de cet endroit… Étaient-ils aveugles ou tout simplement bornés ? Dans tous les cas, ce manque de curiosité allait mener Kodama à sa perte si cela se généralisait…

Enfin, une dispute éclata entre le médecin et le fossoyeur… Rien de très intéressant, encore des accusations et de la violence gratuite. Même l’homme aux cheveux d’agent, d’ordinaire si sérieux et si calme, avait perdu toute once de professionnalisme. Alors c’était ainsi, plus personne n’était à la hauteur des enjeux, de l’Histoire. Bien entendu, Ren était trop humble pour se considérer au-dessus. Cependant, il se reconnaissait une qualité : il ne salissait pas ce Temple, le respect était capital pour lui.

Las de tout cela, l’homme aux tatouages vivants était tétanisé, sa volonté se retrouvait déchirée entre deux extrêmes : agir et attendre. Son orgueil et sa passion d’érudit lui dictaient l’action, quitte à affronter ses pairs. Sa raison et son admiration pour ces savoirs inconnus, eux, lui ordonnaient de rester là, en attente d’une intervention divine… Croyait-il que le cerf reviendrait l’aider ? Qui sait… Même lui était trop confus pour connaître ses véritables attentes et désirs. Finalement, ce fut la patience qui prima et lui donna raison.

En effet, rompant avec l’ambiance puérile, des bruits réguliers se faisaient entendre, des pas, assurément. Par la suite, un embrasement de la salle eut lieu. Des torches par dizaine prirent vie révélant des secrets insoupçonnés et d’une richesse incomparable. Le regard devenu terne par les actions des autres élus, s’illumina de nouveau et le cœur de Ren s’emballa. Se tenant la poitrine, essayant vainement de contenir le battement vigoureux de son myocarde. L’archiviste se mit à pleurer de joie devant un tel décor. Ses jambes furent-elles aussi transies par la beauté des illustrations ainsi découverte du voile de l’obscurité. Tremblantes, elles ne tardèrent pas à fléchir, puis à toucher le sol. De cette perspective, le corps et l’esprit du Shosei semblaient être écrasés par les connaissances qu’il convoitait tant. Il n’en espérait pas autant. C’était tout bonnement un miracle. Sortant son parchemin déjà bien noircit par ses précédentes notes, il combla les vides, annota tous les détails qu’il pouvait soulever. Il était évident qu’il ne pouvait pas tout retranscrire, c’était davantage des mémos résumant ses premières impressions, ses théories et ses hypothèses. Quel divin moment, se sentant privilégié, il ne désirait à aucun moment que cela ne cesse.

Résumer et comprendre l’entièreté de ses gravures et peintures demanderait beaucoup de temps et de travail, mais une énorme récompense en déboucherait : la compréhension d’une Histoire ancestrale, de mythes relatant d’objets surpuissants, de créatures difformes à la force démesurée et à des semblants de Temples qui probablement servirait à sceller ce bestiaire apocalyptique. Ce furent les premières clefs de compréhension que le trentenaire acquis. Ce n’était pas très clair, mais son engouement et son excitation troublaient ses raisonnements. Peut-être que ce Temple, cette sépulture, devait à l’origine enfermer une de ces bêtes, ce serait l’une des 9 constructions de la fresque… Ce serait alors l’un de ses monstres son nouveau maître ? Ou alors ce bâtiment sert juste de présentation, est en dehors de ces fresques, il ne serait que le conteur posthume d’une civilisation oubliée... L’autre idée qui vint au mercenaire, c’est qu’il s’agissait de la tombe du monstre dépeint sur les portes, cet être dont on ne doit pas prononcer le nom. Dans tous les cas, le sceau et la clé avaient été brisés. Ren se demandait alors si en plus de tout ceci, il aurait l’occasion de rencontrer celui qui avait assujetti le cerf opalescent.

Alors concentré et assidu, donnant toute son énergie à décrire, à interpréter et à comprendre, il eut une réaction agacée quand un vrombissement le sortit de son état proche de la jouissance intellectuelle absolue. Que se passait-il ? D’autres découvertes allaient-elles se révéler ? Cherchant de toute part d’où venait ce bruit, il comprit au mouvement des portes obsidiennes que les pas provenaient de derrière cette arche gigantesque. A peine quelques secondes suffirent à Ren pour comprendre ce qui se passait. En voyant les deux précédents protagonistes et l’homme au masque, une seule pensée lui vint, l’Ombre en personne se présentait à eux. Par réflexe, il quitta sa posture avachie sur le sol, pour arborer une stature plus noble et plus digne. Le mercenaire, face à son supérieur, un seul genou à terre et tête baissée, rendait hommage à l’entité mystérieuse. C’était trop d’honneur pour le simple Shosei qu’il était. Quand la voix antique du grand dirigeant s’imposa, Ren comprit qu’en face de lui, se trouvait un homme d’un charisme et d’une puissance sans égale. Aucune résistance n’était envisageable. D’ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, les vents recommencèrent à se manifester. Des brises colorées erraient sans but dans ce lieu, comme perdues dans ces lieux séculaires. Parfois, elles allaient lécher le corps des trois êtres nouvellement arrivés, mais rien de plus concret. Aucune interprétation n’était possible, il semblerait que même les vents ne savaient pas comment réagir face à de tels individus. L’ami des « murmures du vent » eut même le sentiment, que les fils d’Eole étaient eux aussi intimidés par cette présence surhumaine. Que faire, que dire, si même ses alliés n’osaient plus souffler, tournoyer, danser…

Là, les mots durs et lourds de sens s’encrèrent dans la conscience de Ren : « Mon territoire », « Vous ne repartirez pas d’ici avec l’ensemble de vos capacités », « votre conscience m’appartient » … C’était clairement des menaces, mais surtout il sous-entendait que ces lieux lui appartenaient… Le premier volet, Ren le balaya rapidement, qu’il soit diminué ou soumis à cet être masqué, c’était sûrement le prix à payer pour toucher la vérité d’encore un peu plus près, alors soit, il payera de son âme s’il le faut. Sûr que son honneur, son ego et sa volonté seront suffisamment forts pour garder un peu de libre-arbitre. Quant au second pan de ces propos, un doute s’immisça dans les pensées du savant. Venait-il d’affirmer qu’il s’agissait de son tombeau ? Il serait alors le Maître dont avait parlé le Patriarche ? Pourtant, à la lecture des dessins ancestraux et vu la taille des lieux, son profil semblait bien loin des créatures aux multiples queues sensées être enfermées dans un Temple comme celui-ci… Il repensa subitement aux propos du Lieutenant de Kusa : « Grâce à ton sacrifice, la sépulture du maître est enfin libérée. […] Ne laisse pas Rakka s’accaparer ce pouvoir. » Peut-être que son nouveau Maître n’était déjà plus dans sa sépulture et que Rakka se tenait là, devant lui. Cette hypothèse était folle et risquée, mais l’archiviste sentit monter en lui le doute. Le fait est que l’un de ses sbires avait frappé l’être éthéré, qu’il avait sûrement voulu empêcher la destruction de la clé et donc la libération du sceau qui enfermait possiblement l’entité qui gouvernait l’animal aux bois sylvains. Partant de ce constat, l’Ombre avait pour objectif de garder ces lieux et ces secrets pour lui seul, et sûrement le « pouvoir » évoqué par le cervidé aussi. Si ce raisonnement était bon, le Shosei avait pour mission d’arrêter l’Ombre et de contrecarrer ses plans. Si cela se confirmait, trahir Kodama allait devenir une réalité. Confus, perdus, il ne savait quoi dire, quoi faire… Il lui fallait du temps, mais c’était un luxe qu’il n’avait pas.

Sans avertissement préalable, Sadaharu prit alors la parole avec véhémence, un tout autre visage s’imposa. Il défiait littéralement l’autorité, il s’était senti insulté, bafoué par le comportement de l’Ombre. Ren le comprenait, mais agir ainsi n’apporterait rien. Encore une fois, les émotions et l’orgueil étaient mauvais conseillers. Cependant, l’homme tatoué ne s’attarda pas sur son cas, il avait encore tant de choses à éclaircir, à comprendre, à analyser.

Toutefois, cette distraction eut du bon. Elle eut pour effet de réveiller l’esprit de l’Akemi. Tergiverser, décortiquer et s’embourber avec les dires énigmatiques d’être semblant provenir d’un autre âge, ne rimait à rien. L’heure appelait aux discours et aux actions. Au fond, peu important l’identité de l’Ombre, il allait forcément se trahir à un moment donné. C’est pour ça que Ren se devait de rester proche de lui, de ses lieux et accomplir ce pourquoi il était devenu « l’héritier ». Levant lentement la tête, observant l’homme qui lui faisait dos, il prit le temps de bien peser ses mots pour attirer son attention et déterminer l’ampleur de ses connaissances.

- Permettez un humble infesté de prendre la parole en ce tombeau et en votre présence. Moi, Akemi Ren, Shosei du clan Kodama, j’assume mes actes passés, présents et futurs. Je me remets à votre jugement éclairé. Cependant, mon honneur doit vous prévenir, le Patriarche de ce Berceau, comme il s’est lui-même nommé, a déjà désigné un héritier et un ennemi. Que dois-je faire de ses connaissances, de ses notes concernant les sigils du feu monolithe ? Comment puis-je être utile ? Pourrais-je vous aider à décrypter ses contes et légendes de cette antique civilisation ? Mes croyances et mes convictions sont uniquement tournées vers les Vérités de ce monde, croyez-moi.

Se souvenant du pouvoir intrusif de l’une de ses rencontres précédentes, l’archiviste essaya d’enfouir sa nouvelle identité et sa tâche impossible au plus profond de son être, loin de toute détection. Personne ne devait savoir qu’aujourd’hui, il était avant tout le serviteur du Maître du Cerf blanc et non plus un soldat à la solde du clan Kodama (et par extension de l’Ombre).

Angoisse, appréhension et insécurité faisaient vibrer le cœur du Shosei. Les battements se faisaient lourds et intenses, le souffle haletant et l’esprit clairvoyant, Ren ne perdit aucune miette de la représentation qu’allait lui offrir les Doigts de l’Ombre. Silencieux, il essaya de capter le maximum d’information de ces lieux sacrés, il ne voulait pas que son empressement et ses peurs lui fassent rater l’occasion d’acquérir des savoirs supplémentaires. Une fois les murs, les fresques, ancrés dans sa mémoire, tout en préservant sa posture pleine de respect et de soumissions, ses yeux balayaient la pièce pour observer les soldats silencieux.

Mentalement, au fil des arrivées et des retournements de situations, l’érudit décomptait le nombre de Doigts présent. Au départ, ils n’étaient que deux, l’ange blanc et l’ange noir. Puis, en toute discrétion, un être masqué voila les rayons de la surface pour couper toute retraite aux protagonistes. Le piège se refermait avec cette phalange supplémentaire, tout était trop bien orchestré, trop bien ficelé… La venue de tous ces combattants, la scénographie, plus le savant y réfléchissait, plus il s’inquiétait de n’être qu’un pion, manipulé depuis le début et obligé de se soumettre pour exister. Un goût amer se diffusa dans son âme, décidément, malgré son geste, jamais il ne sera le serviteur dévoué de cet Ombre.

Puis, la surprise fit tressaillir le trentenaire, le blond se leva et rejoignit le « maître » de ses lieux... Était-il complice ? Était-il l’un de ses servants ? L’incompréhension régnait dans l’esprit de l’archiviste, et ce n’était pas près de se stopper. En effet, peu de temps après ce revirement, Tengen, prêt à se rebeller, dans un élan de pure folie se retrouva au sol, faisant une révérence emplie d’humilité et de respect… Que lui arrivait-il ? Était-il contraint ? Ren tremblait, son corps n’arrivait plus à contenir le torrent d’émotion qui l’habitait, ce simple documentaliste n’était pas assez formé pour résister à une telle tension, pas assez solide pour endurer autant de vives sensations… Il était encore trop fragile. La torpeur faisait de lui son esclave, il était incapable d’agir. Sa passivité et sa faiblesse le frappèrent de nouveau. Il haïssait ce sentiment d’impuissance, si seulement il pouvait être plus fort…

Après cet étrange phénomène, seuls deux doigts demeuraient encore levés, la signification de ce geste arriva très vite. Un éclair, l’assaut de l’épéiste d’albâtre, quatre bruits sourds, les corps et les têtes des victimes… La sentence venait d’être rendu. Son âme se mit à crier "SAAAAAAAAAAAADAAAAAAAAAAA" et des larmes viriles perlèrent sur ses iris. D'un geste, il les balaya, l'heure n'était pas encore venue, "l'ennemi" respirait encore. Tandis que le temps était comme ralenti, suspendu aux agissements de l’Ombre et de ses armes humaines, un masque tomba au sol. Une volute, jusqu’alors silencieuse, brisa l’instant et son mutisme, afin d’attirer l’attention de l’homme tatoué. Elle l’intima de prendre ce bien, sans propriétaire désormais. Écoutant son amie, comme il en avait pris l’habitude, il tendit le bras et ramena le bien sous sa cape.Pour lui, il s’agissait de la dernière once d’énergie de son ancien collègue, les soubresauts de son âme, sa dernière volonté. Sadaharu, par-delà la mort, lui tendait le flambeau, c’était à lui de perpétuer son œuvre, de résister à sa manière à cette autorité défaillante et inquiétante. Il se promit de venger le balafré et de faire payer à cette entité inconnue ses agissements peu scrupuleux et ses actes commandés par l’égoïsme et non le bien commun. A peine quelques secondes plus tard, il se retrouvait plaqué au sol. Avaient-ils vu son geste opportuniste ? Allait-il lui aussi perdre la vie ? Jamais il n’avait connu un pareil effroi, son corps et tous ses organes étaient crispés, tendus, en total agonie. C’était tout bonnement insupportable, à perdre la raison.

C’est alors qu’une paume fut apposée sur sa nuque, puis une brûlure intense consuma ses craintes, le Shosei se retint de crier de douleur. Néanmoins, ce rappel à la réalité, malgré sa violence, avait du bon. Ils empêchèrent l’Akemi de sombrer dans les méandres de la psychose. Ce dernier comprit, au vu du procédé, qu’il s’agissait d’un fuinjutsu, mais lequel et pourquoi… Cela, il ne pouvait pas le savoir, cela dépassait ses champs de compétences… Mais au vu des propos de l’investigateur de toute cette intrigue, ils venaient d’être asservis.

Le reste de cette aventure devint flou, difficilement cernable, Ren ne retenait que la douceur et l’étreinte réconfortante du sommeil. Même s’il avait été créé artificiellement, il était particulièrement agréable. C’est pourquoi, le trentenaire se laissa faire, tel un mouton. On pouvait l’emmener à l’abattoir que son corps ne réagirait pas, toute volonté combative était envolée. Une part de son être, avait accepté sa nouvelle condition.