L'insidieuse présence des environs avait fauché la conscience de
@Urawase Yagūra d'une facilité déconcertante. Il n'avait aucune volonté. Aucune résistance. Déambulant dans les rues de la Ceinture Noire, sa légère fièvre le transformant petit à petit en un volcan en éruption, l'élu ne savait plus où donner de la tête. Preuve de sa folie, il avait essayé de répondre au garde l'ayant interloqué en lui projetant sa propre flèche, devenue vecteur de son pouvoir incandescent. Par chance, l'archer ne reçut que de moindres dégâts, du fait de la trop faible inertie de la flèche, quasi inefficace lorsqu'on la lance à main nue. Au vu de l'état de Yagura, la sentinelle était convaincue que sa cible était contaminée. Son rappel à l'ordre était ridicule ; l'archer allait devoir employer les grands moyens. Ainsi, à défaut de l'abattre pour mettre un terme à cette menace ambulante –
Jin lui avait ordonné personnellement, comme à tous ses hommes d'ailleurs, de ne pas tuer les malades – le milicien visa la jambe du mercenaire. Avec une flèche dans le genou, il serait contraint de rester bien en place, le temps que ce cataclysme se règle de lui-même. De ce fait, il banda son arc. Verrouilla Yagura dans sa mire. Et relâcha enfin la corde.
La Troisième Ancre se brisa.
@Shinonome Eirei s'écroula. Impuissante, la Deuxième Ancre assista à la déchéance de son plan ; à la fin précoce de Sa réincarnation. En un claquement de doigt, ou plutôt, en un grimoire arraché, son destin s'était brisé. Une arme conséquente lui filant entre les doigts, pour la narguer de la seule présence du maudit dorénavant purgé. Pourquoi avait-il refusé cette offrande ? Comment avait-il pu cracher si prestement sur le visage de son Maître ? N'avait-il aucun respect ? Aucune ambition ? La rage de la Doctoresse se manifesta autour d'elle, une fumée violacée émanant du vide pour la lover. Des tentacules vinrent tapisser le sol, tandis que cette robe spectrale se développa sur le sol. La dépouille inerte du Traître se fit hisser dans les airs, les liens éthérées lui saisissant la gorge. Nu comme un ver, la Doctoresse l'examina dès lors avec dédain. Il n'était qu'un homme. Il n'était qu'un pion. Il n'était qu'un maillon.
Pourquoi l'Empereur-Roi l'avait-il choisi ?
« Tu regretteras ton blasphème. »La fumée épaisse pénétra les voies respiratoires de la marionnette. Son esprit brisé n'apporta aucune résistance à cette invasion agressive, insoutenable, qui lui gonflait les bronche et lui martelait les tempes. En bien des égards, le maudit pouvait reconnaître la présence familière de l'Empereur-Roi, greffée sur sa nuque depuis si longtemps. Mais la quantité d'énergie insufflée dans
ce projet écrasait toute rivalité. En dépit de toute limite physique humaine, Azusa remodela son pantin à sa guise. Tel un rond essayant de rentrer dans une fente carrée, la sombre aura de la Doctoresse envahit la moindre parcelle d'Eirei, jusqu'à devenir
autre chose. Sa carrure avait doublé. Ses muscles de baudruche étaient fin prêts à exploser. Un colosse de violence au service de la Tête de la Triade.
Un Fou au service de l'Empereur-Roi.
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La marée de morts s'était estompée pendant une brève intervalle, et les héros de la Ceinture Noire en avaient profité pour s'y engouffrer à toute jambe. Malgré la séparation des deux groupes, leurs esprits s'étaient alignés sur une même volonté : rejoindre le foyer de la contamination, ainsi que sa source Azusa, afin de la mettre hors d'état de nuire. Les pièces du puzzle s'imbriquaient peu à peu ensemble, tandis que contaminés et organismes sains œuvraient de concert pour couper l'herbe sous le pied de la Doctoresse. Même si
@Haitatsu Hayai rencontra un malade trop zélé qui lui saisit la jambe, il put compter sur la vigilance de
@Tsukuri Zōn qui envoya son plus joli coup de
geta dans la gueule du pantin. Alors libéré de toute entrave, l'Acolyte de Ryomen Shiro put emboiter le pas de ses guides, en direction de la faille. Il n'y avait plus un moment à perdre. C'était la seule opportunité pour outrepasser ce barrage humain et prétendre à stopper ce mal. Du moins, ce fut la volonté de
@Seijaku.
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La même opportunité s'était présentée face à l'escouade de Jin, qu'elle fut composée de sentinelles non-affins au chakra, comme de ces deux élus les ayant rejoint sur le chemin. En phase avec
@Tomoe Mirai, le Gardien sauta instantanément sur l'occasion pour rejoindre le foyer de la contamination. Ce phénomène était une aubaine. Il ne fallait pas essayer de la comprendre, mais profiter d'elle comme lorsqu'on pourrait assister à l'une des rares éclipses lunaires de Kusa no Kuni. Dans leur sillage,
@Masui les suivait, tiraillé entre aider le Gardien, et respecter sa fidélité envers sa maîtresse Azusa. Par chance, il n'avait pas encore besoin de choisir. Le gamin des rues pouvait repousser ce choix au lendemain. Du moins, jusqu'au moment où ils tomberaient sur la Docteresse.
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Les tentacules de la Deuxième Ancre abandonnèrent leur nouvel hôte. Né une seconde fois,
@Shinonome Eirei triomphait en plein milieu de la place, cette place vide, silencieuse, abandonnée de tout contaminé. Sans ses amples atours, l'homme était méconnaissable. Il n'avait d'ailleurs plus rien d'un homme. Ça n'était qu'une chose au service de la Doctoresse, afin de le punir à la hauteur de son péché. Un martyr pour les uns ; un traître pour les autres. Et c'était en plein cœur de cette différence d'opinions que le nouveau monde allait se souvenir de lui.
Pour tes prochaines réponses, tu pourras profiter d'un rang B de puissance. Il t'est impossible de te rebeller.
Les deux groupes de héros convergèrent vers la place centrale. Sous leurs yeux ébahis, Azusa la Doctoresse et son colosse menaçant. Seuls. Mais tous deux transformés. La même robe de fumée opaque, violacée, habillait la femme, tandis qu'elle rejoignit les côtés de l'Ancre Brisée. Ainsi, les fins protecteurs de la Ceinture Noire arrivaient enfin ? D'un coup d’œil, elle reconnut l'allure prétentieuse du Gardien, suivi de sa troupe ridicule de disciples. Des apprentis justiciers n'ayant aucun sens de la réalité, abrutis par un désir de justice biaisé. Les véritables escrocs du Quartier des épices, n'ayant jamais osé tremper leurs mains dans la merde ou dans le sang pour faire régner leurs idéaux. Des lâches n'appliquant leur code de conduite afin d'alléger leur conscience, à défaut d'oser changer les choses. Des hypocrites se pensant au-dessus du peuple, dont l'inutilité était flagrante.
Hélas, ces plaisantins étaient venus accompagnés. De l'autre côté de la place, à trois artères d'eux, débarquaient Seijaku de la Ceinture Noire et ses partisans affins au chakra. Une personnalité émergente des bas quartiers qui revenait souvent dans les messes basses des oiseaux d'Azusa. Un archétype intéressant, capable de soulever le peuple pour transformer le monde. Peut-être était-ce enfin le moyen de le supprimer, et s'assurer un avenir radieux.
« Merci de m'avoir rejoint. Je n'oublierais pas ce geste. »Jin écarquilla soudain les yeux.
« QUELQUE CHOSE APPROCHE ! »Une vague implacable d'énergie abyssale, souillée par les péchés les plus sombres de l'Humanité, se déversa dans tout le foyer de contamination. Les capacités sensorielles accrues du Gardien n'avaient pu ressentir cet assaut à temps. Et il allait le regretter. Élus comme volontaires non-affins au chakra furent frappés par cette puissante malédiction. Contaminés comme organismes sains l'encaissèrent en espérant en ressortir en un seul morceau. Mais l'influence néfaste ayant envahi la Ceinture Noire les avait bien traversé, sous la forme de cette épaisse et fulgurante fumée, qui ne laissa personne fuir son destin scellé.
En un clin d’œil, digne d'un mécanisme binaire, les contaminés perdirent le contrôle. À l'instar des pantins désarticulés que les héros avaient croisé sur leur chemin, ils rejoignirent l'essaim. Privés de leur libre-arbitre, les bons samaritains d'hier devinrent les rivaux du lendemain. La courageuse
@Tomoe Mirai se retourna aussitôt vers Jin et ses hommes. Le troubadour
@Tsukuri Zōn leva ses armes pour fondre vers
@Seijaku et les mercenaires l'accompagnant. Certains guerriers sains d'esprit commencèrent également à développer d'étranges symptômes, la fièvre s'aggravant à une vitesse admirable pour les condamner au contrôle mental en une poignée de secondes. Ainsi,
la totalité des hommes non-affins au chakra de Seijaku se mirent à se retourner contre lui.
Ce subterfuge impie avait forcé les guerriers d'Asatsuyu no Sato à se battre ensemble. L'opération avait été un succès. Azusa elle-même fut surprise de voir autant d'esprits se plier à sa volonté. Son Fou précédent, le Kabuki du Théâtre de la Demi-Lune, avait accompli un travail admirable. Est-ce que la Doctoresse était elle-même sous l'influence de l'Empereur-Roi ? Sa voix gutturale, et son lien avec cette armée de bétails privés de libre-arbitre, pouvait faire pencher la balance d'un côté. Néanmoins, cette impression était fausse. La Doctoresse demeurait la Doctoresse. Et c'était en pleine possession de sa raison qu'elle avait décidé de servir son Maître.
« Ne te fais pas avoir par ces molosses, Masui. Je ne veux pas pleurer ta perte. »
Son éventuelle contamination, du fait d'un sortilège d'ampleur impossible à contrôler à l'échelle personnelle, n'était pas importante. Azusa pouvait très bien le libérer de sa servitude de la même manière qu'elle avait si facilement dominé la Ceinture Noire. Hélas, la mort était une servitude impossible à briser. L'Empereur-Roi lui-même employait des moyens colossaux pour s'en dépêtrer.
« Fuis cette désolation. Tu profiteras bientôt d'un empire luxuriant, exempt de malheur ! La mort ne sera pas la fin de notre existence ! Retrouvons nos morts ; accueillons-les dans notre havre ! »
Ses paroles furent retransmises dans toute la zone dangereuse, par ses nombreux vecteurs. Les contaminés présents dans le foyer s'arrachèrent également la gorge pour répéter en chœur son message.
La messe avait été prononcée.
« BRISONS LE CYCLE DE LA VIE ! »
De l'autre côté de la barrière de la conscience, les serviteurs d'Azusa purent profiter de souvenirs étranges. À l'instar des cauchemars de Shinonome Eirei, tous baignaient dans cette vision mystérieuse, utopique, où ils régnaient sur un empire mirifique, perchés sur une structure pyramidale dorée, alors qu'une foule fourmillante, noire de monde, si loin en contrebas, accomplissait leurs desseins. Un désert les entourait. Mais pas seulement. Des veines luxuriantes, accueillant des oasis vitaux, scarifiaient les Mers d'Ocre sur des kilomètres à la ronde. Au loin, dans les airs, effleurant le firmament du bout des doigts, une île volante les ravissait, aux splendides cascades se jetant dans le vide pour irriguer le pays. C'était leur pays. Un domaine radieux. Un paradis sur terre. Une alternative logique à la jungle asphyxiante de Kusa no Kuni. Ils s'y sentaient si bien. Et, pendant ce temps paraissant infini, leurs corps protégeaient la prophète qui désirait reconquérir cette Dynastie merveilleuse.