C’était la toute première fois que je quittais les limites de la ville. La toute première fois que je m’aventurais dans la nature sauvage qui entourait Asatsuyu. Alors quand je rejoignis la caravane, que je devais protéger, qui devait ravitailler l’avant-poste Shinnin, je n’arrivai pas à tenir en place. Les différents stocks de nourriture et de vivres en tout genre n’étaient pas encore prêts. Il fallait les attendre. Et je n’y arrivais pas, c’était beaucoup trop long. Cela ne dura qu’un quart d’heure, mais j’eus l’impression que ça durait deux ou trois fois plus longtemps.

Finalement, le convoie se mit en route et nous dépassèrent rapidement les limites de la ville. Voilà. J’étais dehors. Je jetais des coups d’œil de tous les côtés. Je ne voulais rien rater. De nouvelles odeurs, de nouvelles sensations et de nouvelles découvertes s’ouvraient à moi et c’était excitant. La découverte de l’inconnu ! C’était tellement mieux que de rester enfermer à longueur de journée dans une boutique à faire de la poterie ! Il y avait tant de choses à voir. Des plantes que je n’avais jamais vues ou même certains insectes m’étaient inconnus. Malheureusement, nous ne croisâmes pas d’animaux, ceux-ci fuyant avant qu’on puisse les voir.

Toutefois, l’excitation ne tarda pas à redescendre. En effet, le chemin était pratiquement identique du début à la fin. J’avais tout vu. Enfin tout ce qu’on pouvait voir en suivant le sentier qui avait été tracé à force de passage. Du coup, je me reconcentrai sur mon travail : amener les vivres à l’avant-poste. Et pour ça, je devais faire attention à ce que rien ni personne ne nous attaque. Je devais guetter le moindre signe d’une présence quelconque dans les environs. Même si tout cela était nouveau pour moi, je devais m’y habituer rapidement.

Ses crocs arrachèrent la chair, avec force.
Agenouillé, dans les profondeurs de la forêt, l’hybride se régalait de ce repas. La gueule ensanglantée, la carcasse de sa proie du jour venait remplir son estomac. Un véritable carnage.
La patte de la biche fut sectionnée d’un simple mouvement. Le Shahid continuait sa besogne, las de cette vie entre quatre murs.

L’air frais. La traque sauvage. Tout dans la liberté l’attirait. Pourtant, il restait enchaîner dans cette cité maudite. Bien qu’aujourd’hui libre, il savait que d’ici peu ses maîtres lui tomberaient dessus pour l’enfermer une énième fois. Cette arcane mystique, l’art des sceaux, était le moyen qu’ils avaient pour le traquer...
Même quand il parvenait à s’échapper de la cité.

Le bruit d’une roulotte passa à quelques pas de sa position. Son odorat développé huma les alentours.
De la nourriture.
Il pouvait la sentir. Sa langue lécha ses babines naissantes. À quatre pâtes, tel un véritable gorille au dos argenté, il se mit en chasse.

Inka n’avait plus toute sa tête. Sous cette forme avancée de sauvagerie, seul son instinct le plus sauvage lui dictait la marche à suivre. À savoir manger ou être mangé.
Tenant toujours en main la carcasse de la biche, le sauvage bondit d’arbre en arbre. Masqué par la dense végétation, il suivait le cheminement de la calèche au travers les horizons Kusajin.

Un véritable chasseur attendait toujours la meilleure ouverture.

Sortie des hauteurs, la carcasse s’écrasa devant la roulotte. L’empêchant ainsi de continuer à se frayer un chemin en direction de l’avant-poste. Un bruit de fracas ne tarda pas à résonner.
L’homme-singe venait de faire son apparition sur le toit de l’embarcation. Du sang perlait çà et là sur son corps. « Ovqatlang. Ovqatlang... OVQATLANG ! » Rugit-il.

Au bout d’une heure de marche, je n’en pouvais déjà plus et mon attention commençait déjà à baisser. On voyait toujours le même paysage. Toujours les mêmes arbres et les mêmes plantes. Et pour couronner le tout, personne ne parlait. Je ne sais si c’était pour mieux se concentrer ou si c’était pour éviter d’attirer des prédateurs dangereux, mais dans tous les cas cela me pesait. J’avais besoin de m’exprimer et de parler avec les autres. Ne pas le faire était contraire était contraire à ma nature. Il s’agissait donc d’une réelle torture pour moi.

Heureusement, quelqu’un sembla entendre ma supplication silencieuse car il y eut enfin un peu d’action. Enfin, « un peu » était un pléonasme. En effet, sans crier gare, une carcasse de ce qui semblait avoir été une biche plus tôt dans la journée s’écrasa juste devant la roulotte ce qui nous força à nous arrêter. Rapidement, un autre bruit ne tarda pas à retentir et quelqu’un apparut sur le toit du véhicule. Tandis que tout le monde reculait d’un bon pas, je l’observai rapidement. Il était musclé. Très musclé. Mais ce n’était pas ça le plus étrange. Une bonne partie de son corps était recouvert de fourrure, ses dents avaient l’air plus pointues et sur une queue battait l’air dans son dos. On aurait dit qu’il était moitié-homme, moitié-animal.

Je n’eus pas le temps d’y réfléchir plus longtemps qu’il se mit à crier quelque chose dans une langue que je ne comprenais pas… On aurait dit des sons gutturaux principalement composés de consonnes. Impossible à prononcer pour moi… Toutefois, je compris très bien qu'il n'était pas de très bonne humeur et qu'il ne valait mieux pas l'énerver. Je jetai alors des regards autour de moi pour voir ce que les autres gardes comptaient faire et par hasard, mon regard tomba sur la carcasse. Il n’y avait plus la moindre trace de viande dessus. Ce n’était que des os et des tendons. Soudain, une idée me traversa l’esprit.

Tu as faim, c’est ça ? demandai-je sans savoir s’il me comprenait. Tu veux manger ? Tu veux de la nourriture ?

Tout en posant les deux dernières questions, je mimai le fait de manger de la main droite et me frottai le ventre avec la gauche. En espérant qu'il comprenne ce que je voulais dire... Après quelques secondes, je m’arrêtai pour prendre le quelques rations que j’avais dans ma besace pour les lui tendre… J’espérais que ça allait suffire !

Dans d’autres circonstances, le Fauve se serait jeté sur cette proie juteuse : cet adolescent. Pourtant, une effluve mystique s’échappait de cet homme. Les narines du Simiesque humèrent l’air. Son regard s’ouvrît de surprise sur cette découverte.

L’adolescent, en plus de porter l’odeur du Maymun, portait l’odeur même du Banmin.

C’était une première. Un fait ne s’étant jamais avéré pour le moment. Pourtant, ce jeune homme ne pouvait avoir aucun lien avec son ancienne tribu. Cette révélation sidérante sortit Inka de sa transe animale. La bête redevint homme, sous les yeux médusés de la troupe de marchand.  

Inka s’approcha avec vélocité en direction de l’adolescent. Il continuait à le sentir ; un comportement anecdotique qui allait de pair avec une situation unique. « Siz kimsiz ! » Une question tournant plus autour de l’injonction qu’autre chose. Inka se servait de sa capacité à communier avec la nature pour établir un contact oral avec le gibier. « Aloqa qiladi. »

Du dos de sa main, il repoussa avec force l’épaule de cet homme. Tout deux partageaient ce lien avec la nature. La nourriture n’attirait même plus l’Esprit-Libre. L’idée d’avoir un camarade... Non ce n’était pas possible.

Lorsqu’il posa son regard sur moi, je reculai d’un pas instinctivement. Il avait humé l’air quelques secondes avant de se tourner dans ma direction. Ce n’était donc pas ce que je lui avais proposé qui l’intéressait, mais moi. C’était moi qu’il voulait. Toutefois, je tentai de rester calme car si je commençais à paniquer peut-être qu’il le sentirait et qu’il se jetterait directement sur moi.

Étrangement, cela ne se passa pas comme ça. Au lieu de se jeter sur nous, ou même sur la nourriture, l’Homme-Singe redevint… juste Homme. Comme s’il pouvait se transformer en un animal… Soudain j’eus comme un déclic dans ma tête ! Et s’il possédait le même pouvoir que moi sauf qu’il pouvait se transformer en singe et moi en aigle. Ça expliquerait son apparence bestiale, mais pas tellement son comportement et son drôle de langage.

Toutefois, je n’eus pas le temps d’aller plus loin dans mon résonnement qu’il se rapprocha rapidement de moi pour me poser une question. Si s’en était bien une… Voyant que je ne répondais pas, il me poussa avec force pour que je quitte le sentier et entre dans la nature sauvage. Je regardai alors autour de moi et vis qu’aucun de mes compagnons ne réagissaient. Ils restaient tous sans rien faire, et me regardaient me faire kidnapper. Je ne me débattais pas non plus, mais c’était par curiosité et parce que j’avais l’impression que ça aurait énervé le Sauvage plus qu’autre chose… Dans tous les cas, j’en parlerai à mon Oncle quand je rentrerai. Si je rentrais bien évidement.

Nous marchâmes ainsi dans la forêt pendant ce qu’il me sembla être de longues minutes sans que je ne sache où nous allions, ni ce qu’il comptait faire de moi. Finalement, au bout de la dixième branche qui me fouetta le visage, je n’en pus plus. Je m’arrêtai brusquement et me retournai.

Bon. Ça suffit maintenant ! Tu vas me dire ce que tu veux faire de moi et où nous allons, parce que je commence à en avoir marre. Et je ne bougerai pas tant que tu ne diras rien. Et dans une langue compréhensible !

Ainsi, le jeune adolescent se laissa entraîner dans la forêt avec pour seul guide le Fauve. Ses compagnons d’armes délaissèrent l’Aoki, pour le plus grand dam de celui-ci.
Plus il s’enfonçait dans la luxuriante forêt et plus Inka était en mesure de ressentir le plein potentiel de ce petit frère d’adoption.

Son rang évolua du tout au tout. Le Shahid sut faire le rapprochement entre son lien animal et celui de Katataka. Tout deux partageaient cette même évolution bestiale.
Le Simiesque ne cachait plus sa surprise.

Alors que son frère haussa la voix, la main droite de l’homme-bête enserra le poignet de son cadet. L’index du gladiateur se posa sur les lèvres du Shinnin. Il lui intimait le silence, dans ce lieu sacré. Puis cette main pénétra un buisson avant de l’entrouvrir légèrement. Une fenêtre sur un endroit idyllique lui fut ainsi offerte : un étang en pleine forêt où de nombreux animaux s’étaient réunis pour s’abreuver.

Sa dextre se resserra avec un peu plus de force. Il l’entraîna avec lui en direction de leurs vrais comparses.

Dans une salutation bestiale, propre à chaque animal, Inka se présenta à la troupe d’animaux. Fait important, tous étaient mutilés ou portaient des traces de récents combats. Des guerriers animales s’étant confrontés aux ardeurs des Bois Maudits. Le Banmin se tourna en direction de son cadet. « Fokus. Tinglang. Siz javob berasiz. » Ses propos, bien qu’incompréhensible prenaient leurs sources dans le langage animal.

Nul doute que l’Aoki finirait par le comprendre et si ce dernier n’était pas en mesure de puiser dans sa bête intérieure, alors Inka la convoquera ici même... À sa manière.

Toutefois, je n’obtins pas la réaction escomptée. Au lieu de se calmer et m’expliquer ce qu’il se passait, ou du moins essayer s’il ne parlait vraiment pas la même langue que moi, il resserra sa prise sur mon poignet et mis un doigt sur ma bouche. Comme pour me demander de me taire. Ça au moins je le comprenais… Je faillis alors protester à nouveau, mais mon regard fut attiré par autre chose et j’en eu le souffle coupé.

De sa main libre, il avait écarté un buisson qui se trouvait devant nous ce qui nous avait dégagé la vue sur une image idyllique. On aurait presque dit un tableau : un petit étang où une dizaine d’animaux se côtoyaient sans aucun souci pour venir s’abreuver. Il n’y avait ni agressivité, ni stress, juste de la tranquillité. Toutefois, lorsque nous nous rapprochâmes, je remarquai quelque chose que je n’avais pas vu au départ : ils étaient tous blessés. Que ce soit des bouts d’oreilles en moins ou d’immenses cicatrices, ils portaient tous les affres de combats plus ou moins récent. Je voulus alors m’approcher pour tenter de les aider, mais l’Homme-Singe me retins encore une fois et s’adressa à moi dans sa langue sauvage incompréhensible.

Désolé, mais je ne comprends toujours pas ce que tu dis… Ce n’est que du charabia pour moi… Et pourquoi tu m’as amené ici ? C’est à cause de mon Pouvoir qui ressemble au tiens ? demandai-je calmement.

Je ne voulais pas déranger les animaux qui s’abreuvaient, c’étaient nous les étrangers ici, alors j’avais parlé le plus doucement possible même si j’avais bien envie de crier. Et puis, je l’avais déjà essayé et ça n’avait rien changé. Le Sauvageon restait toujours aussi impassible face à mes remarques et il continuait à faire ses cris d’animaux pour communiquer. Soudain, il y eut comme un éclair qui traversa mon cerveau. Le langage animal ! Et s’il parlait une langue qui prenait ses origines dans celle des animaux ? Vu son pouvoir, cela ferait sens et puis, on aurait dit qu’il saluait tous les animaux présents dans la clairière quand nous sommes arrivés. Il fallait donc que j’arrive à comprendre cette langue si je voulais comprendre ce qu’il me veut.

Sans avoir la moindre idée de ce que je faisais, je m’assis en tailleur et composé le même mudra que lorsque je transforme mes yeux en ceux d’un aigle. Sauf qu’au lieu de concentrer le chakra dans mes pupilles, je le concentre dans mes oreilles. Je ne savais pas si ça allait marcher, mais je ne perdais rien à essayer. Au pire, l’Homme-Singe me regardera bizarrement…

La patience disparu pour être remplacée par l’ire du singe. Alors qu’il s’apprêtait à écraser avec force le crâne de son petit frère contre le sol, il vit celui-ci exécuter un mudrâ.
Ce simple signe l’empêcha de mener à bien sa menace.
L’enfant commençait à comprendre où voulait en venir son aîné. Les animaux répondirent par la positive aux salutations du guerrier Banmin.

« Pourquoi sens tu comme nous ? Comment un frêle petit singe comme toi peut être en mesure sentir le fauve ? Partagerais-tu notre bestialité ? » Inka ancra son regard dans celui, ses doigts se referment sur eux même. Son poing se contracta avec force. « Si tu ne comprends pas ce que je dis, je t’arracher une oreille. Il n’y aura plus d’autre avertissement. »

Au vu de sa réaction, Inka en déduit qu’il avait compris – du moins... il l’espérait ?

« Toi qui me comprends. Le premier dans cet prison à ciel ouvert. Révèle moi tout. Qui êtes vous ? Quel tribu et quel seigneur servez vous ? Pourquoi nous ne parlons pas la même langue ? Où sommes nous ? Pourquoi suis-je enfermé et dois-je combattre ces faibles gladiateurs ? Que savez vous sur les singes de l’Ouest ? En avez-vous déjà combattu ? Savez-vous où comment passer outre la faille volcanique... Tu as intérêt à tout me dire et rien me cacher. » Tant de questions qui sommeillaient en lui depuis le début. Tant de pensées cancéreuses qui le hantaient.
Le premier à être en mesure de communiquer avec lui. Il comptait pas lâcher une si belle proie. Une si belle opportunité. « Si tu m’aides, je t’aiderai à devenir un animal. À mon image. À notre image. »

Le Banmin l’avait remarqué. Le petit homme ne sait pas encore comment developer son plein potentiel. L’usage de ce mudra lui suffit pour tirer une telle conclusion.

Tandis que je me concentrais, je fermai les yeux. Ainsi, je ne risquais pas d’être perturbé par ce qui se passait autour de moi ou même par le Sauvage. J’eus l’impression de rester assis pendant des heures jusqu’au moment où une voix me tira hors de mes pensées. Et c’étaient des mots que je pouvais comprendre ! J’ouvris alors précipitamment les yeux et regardai tout autour de moi pour voir qui les avait prononcés. Il n’y avait personne, si ce n’est l’Homme-Singe… Il n’y avait que lui… Cela voulait donc dire que j’avais réussi ?

J’arrive à te comprendre maintenant ! Mais tu n’as pas changé de langue hein ? Tu parles toujours dans ta langue, et je te comprends comme si tu parlais dans la mienne ! C’est génial !

Par contre, ce qui l’était moins c’était ses questions… et ses menaces si je ne répondais pas. Le seul problème, c’est que moi non plus je ne connaissais pas la réponse à la moitié de ses questions… Au contraire, il disait qu’il pourrait peut-être m’aider à mieux contrôler mes pouvoir ce qui pouvait m’être profitable.

Euh… Je suppose que c’est lié à notre Pouvoir et au chakra… On a tous les deux la possibilité de se transformer en animal. Toi en singe et moi en aigle. Il doit y avoir certainement un lien, déclarai-je pensif. Sinon, je m’appelle Aoki Katataka et je… euh… travail pour le Clan Shinnin. Je suppose que c’est comme une Tribu… Par contre, les dirigeants ne doivent pas te dire grand-chose : Jin, Azusa et Bunji. Et si on ne parle pas la même, je suppose que c’est parce que tu es un indigène de la région, non ? Tu n’habites pas à Kusa ?

Il m’avait posé tellement de questions en une fois que je ne savais plus trop où donner de la tête… Surtout que j’avais peur qu’il ne m’attaque si je répondais mal ou si cela ne lui convenait pas. Il avait l’air plutôt imprévisible.

Ça veut dire que tu es un esclave ? Mais qu’est-ce que tu fais ici alors, demandai-je avant de me reprendre rapidement. Ce n’est pas que je te contrôle, je suis même contre l’esclavagisme, mais ça m’étonne qu’on t’ait laissé venir seul dans la jungle d’Asatsuyu. Par contre, pour le reste je ne saurais pas t’aider… Je n’ai absolument jamais rencontré les singes de l’ouest et encore moins vu la faille volcanique. Alors quant à la traverser… Je marquai une légère pose avant de poser une question à mon tour. Tu as « notre bestialité », ça veut dire qu’il y a d’autres personnes de ton peuple dans ces forêts ?

J’essayais encore de processer tout ce qu’il venait de me révéler, ou plutôt que j’avais compris ce qu’il disait. La situation en elle-même était assez étrange et ce n’était pas tous les jours qu’on en vivait de pareils…

Perplexe.
Le fauve mirait l’aiglon. Cette candeur naturelle mettait en évidence la véracité de ses propos. Il ne lui mentait pas et fort heureusement. Inka abhorrait cela.
Le simiesque laissa la joie se tasser dans le visage de son petit frère et futur élève. Chaque chose en son temps. Tant de questions s’agglutinaient ; il en avait presque du mal à réguler ses pensées.

Les premières réponses ne tardèrent pas à s’offrir à sa personne. Cruelle déception.

« Banmin Shahid. Marqué Inka. En Aigle ? Je me demande quel goût cela a. Shinnin ? Hmm... Jamais entendu. La tribu doit être faible. Jin, Azusa, Bunji ? Est-ce les champions de votre tribu ? Ils goûteront à ma force. Un... Indigène ? » Inka heurta son pectoral droit à l’aide de son poing. « Je proviens des terres cendrées à l’Ouest. Les plaines haletantes. »

Cet Aoki Katataka arrivait à canaliser, pour le moment, la bête. Tout ce qu’elle voulait, c’était des réponses. Comprendre ce microcosme dont elle était exclue. Les réponses ne lui plaisaient pas. Ainsi va la vie.

« J’ai arraché deux doigts au garde pour venir dans la forêt. La nature est bonne. La cage non. J’ai pu me nourrir, cela fait plusieurs semaines. » Inka semblait nullement se préoccuper de son sort. Ce fut comme si ne ne pas se repaitre et vivre dans une cage ne le dérangeaient pas. Pourtant, à l’évocation des siens, son visage s’assombrit. Le poing contracté, il se retenait. « Les Singes de l’Ouest les ont massacré. Fragile comme tu es, fais attention aux régions de cette Jungle que tu surnommes Kusa. »

Inka, qui s’était rapproché de l’adolescent assis, s’écarta d’un bon pas. Il expira.

Deux dernières questions. Comment s’appelle le village ? Quels sont vos objectifs, entre vous ; vous vous entraidez ? Pour la bête. Il n’y a qu’une façon de procéder. Il faut s’abandonner à elle. Se sentir aigle. Laisser sa haine, sa colère, sa bestialité exploser. » D’un geste de la main, il invite le jeune homme à se pencher au niveau du lac. Il doit regarder son propre reflet. « Regarde. Concentre toi. Pense à une idée sombre. Chercher à aller contre elle. Laisse exploser tes sentiments. Mais avant ça, tu dois te sentir aigle. Regarde jusqu’à ce que ton visage devienne celui de ton oisillon. »

Le Banmin croisa les bras. Quelques œillades furent jetées sur les animaux marqués par la vie en ces lieux.

Ah euh… Bonne nouvelle si tu as pu t’échapper en arrachant deux doigts à ton geôlier. Au moins tu es libre maintenant ! Et je suis désolé pour toi, si tout ton Clan a été massacré… Mais je n’y suis pour rien ! me dépêchai-je d’ajouter.

Je ne savais pas du tout comment il pouvait réagir, il avait l’air plutôt instable, alors je préférais prendre des pincettes en m’adressant à lui. J’espérais juste ne pas sortir une bourde sans m’en rendre compte. C’était ce qu’il y avait de pire dans ce qui pouvait m’arriver. Il me posa alors ses deux dernières questions, selon lui.

C’est Asatsuyu. Et oui, il y a une sorte d’entre-aide. Il y a plusieurs Clans qui dirigent la ville, dont le Clan Shinnin, et au sein d’un Clan tous les membres s’aident mutuellement. Entre les Clans, il arrive aussi qu’on s’entraide, mais c’est plus rare et il y a généralement des arrière-pensées.

Inka me tira ensuite vers le lac pour que je puisse m’y observer. Selon lui, je devais observer mon reflet et me laisser submerger par un souvenir négatif pour ensuite essayer de le combattre. Et pendant ce temps-là, je devais me sentir aigle… Un peu flou tout ça ! Ses paroles n’étaient pas très clairs et je n’étais pas sûr d’avoir bien compris ce que je devais faire. Toutefois, je tentai d’appliquer à la lettre ce qu’il m’avait dit.

Premièrement, je me concentrai sur un souvenir douloureux. Je n’eus pas très longtemps à chercher avant que l’image de mon jeune frère n’apparaisse dans mon esprit. Je revis très clairement le moment où il était rentré à la maison pour nous annoncer qu’il avait rejoint les Kodama. Je ressentis également la rage et la colère telles que je les avais ressenties ce jour-là. J’avais tellement envie de me jeter sur lui pour l’empêcher de partir et pour lui donner une bonne correction. On n’abandonne pas comme sa famille !

Quand je fut bien certains que la rage m’avait envahi, je tremblais même légèrement, je me concentrai sur la part en moi qui était un oiseau. Un aigle. Je m’imaginais possédant les yeux d’un aigle, mais également recouvert de plumes, avec des ailes et des serres. Je m’imaginais avec un bec. Je m’imaginais être un oiseau. Ou plutôt un guerrier-oiseau… Je sentis alors un frisson parcourir mon corps sans que je n’ose ouvrir les yeux pour vérifier si j’avais réussi ou si je n’avais fait qu’une partie du « travail ». J’attendis l’avis d’Inka…

Le singe laissa le silence reprendre place dans cet oasis caché. Ses questions se tarirent. Assez d’information pour aujourd’hui. Ce village ne l’intéressait pas. Non, seuls les singes des steppes volcaniques l’intéressaient. Il avait une revanche sur la vie à quérir. Avec ou sans leur aide, il comptait bien reconquérir son environnement. Son territoire. La lignée Banmin ne s’arrêtera pas ici. Pas maintenant.

L’enfant laissa le silence l’envahir. Le maître marcha sur l’eau. Il se retrouva assis en tailleurs, face à l’élève.

Les sourcils de l’immaculé se froncèrent. La colère remontait. Un insidieux poison que l’animal se devait de contrôler tout en le laissant couler. Il ne fallait jouer avec le feu sans avoir peur de se brûler. Une certaine de témérité se devait d’exister dans le cœur de l’homme-bête. Un zèle se transformant en hardiesse dans les pires situations.

Le corps de l’esclave se déforma. Il laissa la bête l’envahir. Le maître montre. L’élève copie.

Katataka s’éveilla de ce doux rêve. Une première étape. Ce dernier pu voir Inka revêtir son apparence animal. Le Shinnin pouvait voir l’apparition d’une poignée de plume sur son corps. Sans attendre, la queue de son précepteur fusa contre sa joue. Un coup plus humiliant que puissant. Simple a esquiver. « Concentre toi. Laisse la bestialité t’envahir. Laisse la se mêler à ton sang. Plonge dans ton for intérieur. Recherche l’Aigle qui sommeille en toi. » Fait intéressant, le jeune commerçant n’eut pas besoin de signe incantatoire pour comprendre les mots du dos argenté.

« Reprends. Puise en toi. Ressens la nature qui t’entourer. Ne fais qu’un avec elle. Fusionne avec ta seconde personnalité. Imagine un événement d’une ampleur insurmontable. Imagine le pire scénario. Mets toi dans une condition où tu ne seras pas en mesure d’aider tes proches. Cela attirera le monstre. »

Toutefois c’était beaucoup plus dur que je ne me l’étais imaginé ! Je ressentais beaucoup la partie animale qui était en moi, mais j’avais encore du mal à la libérer comme le faisais Inka. Il arrivait à s’y abandonner pour prendre une forme hybride en l’Homme et la bête. Alors que j’attendais son avis, j’entendis un clapotis devant moi ainsi qu’un grognement. J’ouvris alors les yeux et eus tout juste le temps d’observer le Sauvage se recouvrir de poils et se transformer en Homme-Singe. C’était plutôt impressionnant ! Je voulu alors à nouveau fermer les yeux, mais je vis que sa queue fonçait droit vers ma joue. Je décidai de ne pas tenter de l’éviter pour ne pas le froisser…

Alors que le sang pulsait dans ma joue, je décidai de concentrai sur cette légère douleur. Je ne me focalisai que sur cette sensation et oubliai tout le reste autour de moi. Je ne ressentais plus que ça. Et la rage. Je me servis alors de ces deux sensations pour me guider jusqu’à l’aigle qui sommeillait en moi comme l’avait dit l’ancien esclave. Je devais trouver l’animal au fond de moi-même pour le réveiller. Ce fut donc sur le rythme du battement de mon sang que j’explorai mon for intérieur.

Puis Inka me donna un autre conseille : imaginer ma famille en danger. Une image me vint directement en tête. Je vins mes parents, mon frère et ma sœur en danger sans que je ne puisse rien faire. J’étais tout simplement incapable de bouger malgré ma forte envie d’aller les aider. Tout ce que je pouvais faire c’était crier de désespoir et de rage… Justement, je sentis cette dernière croitre en moi de façon fulgurante. Bien que ce n’était qu’une image mentale, j’y croyais presque et j’avais terriblement envie de me battre.

D’un seul coup, lorsque ma rage eut atteint son paroxysme, je ressentis ce qu’Inka voulait dire. Je ressentis comme quelque chose de chaud et doux, au fond de moi. Mais en même temps, j’avais l’impression que c’était froid et dangereux. C’était comme si je caressais une boule de plume tout en sachant qu’elle pouvait me tuer ou m’attaquer à tout instant. Toutefois, je n’avais pas peur. J’étais même plutôt excité ! Je décidai donc de m’y abandonner et de la relâcher. J’avais confiance en cette « chose ».

Tandis que je me concentrais, j’entendis un déchirement suivi d’une sensation étrange dans mon dos. C’était une légère brise… Au même moment, je sentis mes jambes et mon visage qui commençait à me gratter. C’était plutôt étrange mais ce n’était pas douloureux. Au contraire, c’était même presqu’agréable. Est-ce que ça voulait dire que j’avais réussi ? Je n’en avais aucune idée et je décidai donc d’ouvrir les yeux prudemment…

Le singe arqua son sourcil. Un sourire déchira son faciès. La bestialité qui l’animait jubiler. Enfin, le jeune adolescent revêtait enfin son héritage chakratique. Les muscles de l’Esprit-Libre se contractèrent. Sous le regard imperceptible des maîtres du lac, une confrontation allait avoir lieu. Les mains du Roux le repoussèrent en arrière, en prenant appuis sur l’eau. Un salto arrière plus tard et le voilà en garde. Prêt à en découdre.

Confronter sa bête intérieure pour la première fois, cela ne devait signifier qu’une chose : une rage débordante. Une colère sourde dirigée vers l’ensemble du monde. Son lourd passif lui permettait d’être en mesure de cerner les rouages de cette transfiguration. Il devait mater Katataka et le faire revenir parmi le monde des doués d’intelligence.

Par delà les frontières de sa psyché, le nouvel homme parvint à atteindre sa bête intérieure. Sa rage ainsi que sa haine comme seules guides, l’aiglon éveilla la créature. Une fusion terrifiante. Son corps mutait déjà alors qu’il n’eut reprit conscience. Le courroux du singe était irrigué par l’ensemble de son système sanguin. Chaque veines ne pulsaient que pour cela, à l’image de son myocarde.

Sans attendre, le maître du jour enchaîna plusieurs appuis contre la masse aqueuse. Il chargeait son élève. Dans cette nouvelle condition, il serait difficile pour lui de se retenir. Il pourrait même se blesser bêtement. Tandis que sa cheville droite par pour faucher les membres inférieurs de l’aiglon, sa paume gauche appuie sur l’épaule du même côté pour accompagner la mise au sol. Dans un même temps, la queue de l’hybride fonce contre sa glotte. Un coup dénué de véritable force, uniquement là pour la surprise et le pseudo effet d’étouffement.

Un chirurgien de la mort. Il savait heurter les points sensibles d’un corps humain. Son expérience en disait long sur ses capacités martiales. Une joie étrange marquait son visage. Le Fauve s’amusait. Il en voulait plus. Les affres du combat entraînaient sa carcasse à son tour.

Au fond de moi, je sentis que les transformations n’étaient pas que physiques. J’étais changé à tout point de vue. Jusqu’à présent, je n’avais fait qu’effleurer la surface de mon pouvoir, je ne m’étais jamais plongé de dedans. Est-ce par peur ou par ignorance ? Je n’en savais rien. Mais une chose était sûre : comparé au pouvoir qui déferlait en moi maintenant, ce que j’avais utilisé auparavant ce n’était qu’un verre d’eau comparé à l’océan. C’est-à-dire rien du tout.

Toutefois, ce surplus d’énergie et d’informations avait aussi un revers. J’avais du mal à le contrôler. Il m’échappait et prenait peu à peu le dessus. La bête en moi prenait l’ascendance et je ne pouvais rien faire contre. Elle était plus forte, beaucoup plus forte. Je sentis alors qu’une rage incontrôlable et inexpliquée s’empara de moi. J’avais envie de tout détruire autour de moi. J’avais envie de chasser toutes les proies plus faibles. J’avais soif de sang.

Sans pouvoir me retenir davantage, je me relevai, déployai mes ailes et poussai un cri digne des plus grands rapaces. Bien que ce fut mon corps qui eut agit à ce moment-là, ce n’était pas moi qu’il l’avait fait. J’avais comme l’impression d’être un spectateur dont la vue était brouillée par la rage. Je ne contrôlais plus rien.

Comme s’il avait deviné ce qu’il se passait en moi, Inka fonça droit sur moi pour m’attaquer. Mon corps réagit tout seul sans que je n’ai à faire quoique ce soit. Mes nouvelles ailes, mes serres, mon bec, tout mon être se mouvait comme si ces parties avaient toujours été en moi. Je ne faisais qu’un avec la bête. Au moment, où l’homme-singe s’approcha de moi pour me tacler, je soulevai la jambe gauche et d’un mouvement fluide j’attrapai sa cheville avec ma serre. De mon aile, je bloquai sa main. Cependant, je ne vis pas venir sa queue qui me donna un coup sec au niveau de la glotte.

Par réflexe, je le lâchai et reculai de quelques pas. J’avais du mal à respirer. Il me fallut plusieurs secondes pour reprendre mon souffle et lorsque je relevai la tête, je vis rouge. Étrangement, je n’avais jamais été autant en colère auparavant. L’attaque n’avait pas été très puissante et ne m’avait pas fait très mal, mais sans que je ne puisse l’expliquer cela n’avait fait qu’attiser ma rage. Mon corps se jeta alors sur son « adversaire ». D’une simple propulsion, je me jetai projetai sur Inka, le bec en avant. Le coup était simple et prévisible. Ce n’était pas réfléchi et seul mon instinct dominait.

La jambe du singe est saisie par les serres de l’aigle. La patte entre en confrontation avec son aile. Un rictus se dessine sur le visage de l’Esprit-Libre. La queue s’écrase contre sa gorge transformée. L’emprise du volatile n’est plus. Il recule légèrement.

« Bien, bien, bien. Je vais devoir te museler. »

Les muscles du primate se tendent. Sa respiration se veut plus lente. Ses membres inférieurs se fléchissent, abaissant son centre de gravité. Ses appuis sont solides. Ses poings compriment le vide avec force. Le regard du Simiesque ne quitte pas sa proie. Il n’hésitera pas à user d’une force plus que conséquente.

L’aiglon le ressent.
Il charge.

Bec en avant, son assaut offre de nombreuses failles pour l’esclave. Ses actions sont mues par l’instinct animal qui prend le contrôle du Shinnin. Inka s’engouffre dans la gueule du loup. Il ne cherche pas à esquiver l’assaut. Son corps reste droit, stoïque. Ses membres supérieurs ne cherchent pas à attraper la gueule ou la dévier d’une quelconque manière. Le Fauve s’apprête à enseigner une leçon à son cadet, mais aussi aux autres animaux guerriers présents.

Le bec pénètre la chair du singe. Un filet de sang jaillit depuis l’embouchure de ses lèvres.

Sa jambe droite se déploie, il cherche à écraser son genoux contre la mâchoire inférieure de Katataka. Il ne s’arrête pas là. Dans un même mouvement, ses bras cherchent à s’enrouler autour de la nuque de son adversaire. Une attaque sur deux fronts différents, le tout exécuter dans un même mouvement. L’idée n’est pas voilée par de nombreux mouvements annexes. Aucun geste ne vient parasiter sa danse.

Le sonner puis l’étouffer jusqu’à ce qu’il reprend forme humaine. Quitte à l’assommer dû au manque d’oxygène. Inka le sait. Ce n’est pas en étranglant quelqu’un qu’il meurt. Il n’hésitera donc pas une seule seconde.

Ce qui restait de raisonnable en moi fut totalement surpris et prit au dépourvu. Au lieu d’esquiver le coup de bec, le Singe décida de la subir de plein fouet et je m’enfonçai dans sa chair. La partie sauvage qui me dominait pensait avoir réussi son coup. J’en étais persuadé. J’avais été plus rapide que lui et je l’avais atteint. J’avais l’avantage. Cependant, tout au fond de moi, je savais que ce n’était qu’un piège. De la fumée. Mon opposant avait une idée derrière la tête, mais je ne voulais pas me l’avouer. Je ne le pouvais pas…

Je ne le comprendrai que quelques minutes plus tard, mais j’avais déjà perdu ce combat. Alors que je me retirais pour effectuer une seconde attaque, Inka passa à l’offensive plus rapidement. D’abord, il tenta de me donner un coup de genou au niveau de la mâchoire. Je réussis à éviter l’impacte de justesse en relevant la tête, il me frôla de très peu, mais à cause de ça je ne vis pas le coup suivant. De ses bras musclés, il m’attrapa par le cou et me bloqua. Je ne pouvais plus rien faire sinon me débattre vainement et attendre qu’il relâche sa pression. En quelques secondes, ma vision se troubla et des taches noires apparurent devant mes yeux. Ceux-ci se fermèrent rapidement et je perdis conscience. J’avais perdu…

J’ouvris peu à peu les yeux, l’esprit dans le brouillard. J’avais de vagues souvenirs de ce qui s’était passé et je savais encore moins combien de temps il s’était passé. Je papillonnai des yeux et me redressai doucement. Tandis que la mémoire me revenait lentement, je regardai autour de moi. Je repérai rapidement une tête familière. La seule tête humaine dans les environs. Inka.

Que s’est-il passé ? Combien de temps suis-je resté inconscient ? demandai-je un peu inquiet.

Les desseins de l’Esprit-Libre furent réalisés avec brio. L’aiglon, sans apport d’oxygène, s’endormit dans ses bras. L’adolescent fut renvoyé sur la terre ferme, à défaut de finir noyer sous plusieurs mètres d’eau. Le guerrier veilla sur lui jusqu’à son éveil, quelques heures plus tard.

Katataka ne perd pas sa fougue, il se remet sur pied assez rapidement. Il reste sonné ; juste le temps de se réveiller de cette stase prolongée. Un faible rictus anime la lippe du Fauve. « Plusieurs heures. Tu as éveillé ton don, petit aiglon. Entraîne toi, tu es encore trop faible pour faire un adversaire de qualité. Nous nous reverrons plus tard, quand tu seras plus fort pour réclamer ta victoire. Va maintenant. Rejoins ton peuple, ils doivent s’inquiéter. » Inka invite son apprenti à quitter les lieux. Rejoindre la caravane – si elle n’est pas déjà parti – ou à défaut Asatsuyu.

L’esclave se lève à son tour. Il ne reste plus que eux deux, les autres animaux ont eux aussi quitté les parages. « Inka. Retiens ce nom, petit oisillon. Sa paume se pose contre son épaule. Son regard se plonge dans celui de son cadet. La soif de sang peut s’y lire. Deviens plus fort. Maitrise ta bestialité. » Du dos de sa main, le gladiateur repousse Katataka.

Ils se reverront bientôt. Il n’y en a aucun doute.

Sans plus attendre, le Dos Argenté rebrousse chemin. Il marche en direction de la jungle environnante. La sylve l’avale. Aucun regard en arrière n’est jeté.

En me émergeant des limbes, je me sentis tout de suite plus calme. Comme si le voile qui m’avait recouvert s’était dissipé. La colère et la rage qui m’avaient englouti lorsque je m’étais transformé s’étaient complètement évaporés. La bête en moi avait été refoulée avec succès grâce à l’intervention de l’Homme-Singe. Pourtant je me sentais différent, je n’étais plus tout à fait le même qu’avant. Je sentais mieux la présence de l’Aigle en moi. Elle était là, juste sous la surface de mon inconscient et il me suffisait d’un rien pour la réveiller. Je n’avais jamais été aussi proche de ma nature sauvage auparavant.

Très bien, sois prêt aussi pour notre prochaine rencontre, déclarai-je simplement en hochant la tête.

J’étais encore un peu dans le vague et je ne sus rien dire d’autre. Je restai assis sur le sol à l’observer tandis qu’il me donnait ses derniers conseils. Comme il me l’avait demandé, je comptais bien m’entrainer au maximum pour notre prochaine rencontre. Nous ferons alors un véritable duel et je gagnerai. J’en étais persuadé.

Après m’être fait cette promesse intérieurement, je me levai doucement et tandis que je voyais quelques étoiles tourner, Inka posa sa main sur mon épaule et me fixa droit dans les yeux. Il avait un des regards les plus intenses que j’eu l’occasion de voir. On pouvait y lire sa détermination et surtout sa soif de sang. Il voulait se battre. Il aimait ça. Mais ce n’était plus le moment pour ça, plus avec moi. Pour l’instant…

Au moment où il s’éloigna, je fis également demi-tour. Je devais rejoindre la caravane et au plus vite. Sinon ils allaient finir par croire que je m’étais fait tuer ou que j’avais déserté. Et aucune des deux solutions ne m’était plaisante.