La missive t’est parvenue. Arai Kisaragi. Ce nom te parle, loin d’être inconnu à ton hippocampe. La cheffe de l’Atelier, celui que tu côtoyais il y a encore de ça quelques années. Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Cette convocation n’est pas déclinable, tu le sais.
Ton compagnon canin te mire. Sa queue oscille. Sa langue pend. Il sait ce qui vous attends.

Tu enfourailles ton immaculé épiderme derrière une imposante couche de vêtement. Ton corps chétif se noie dedans. L’effet escompté. Ta senestre nouvellement gantée s’appose sur le livre. L’Unique. Celui dont la science inconnue t’hypnotise chaque jour un peu plus. Un tissus se rabat sur ton faciès, emprisonnant toute perception de tes voies respiratoires. Deux joyaux argentés. Voilà ce qu’il reste de perceptible.
Ta malédiction est cachée. Les zébrures noirâtres également.

Ta dextre caresse le haut du crâne du canidé. L’œuvre est rangée dans une pièce intérieure de ton veston.

Munis d’un bâton en bois, tu parviens non sans mal à l’Atelier. Tes forces s’épuisent si vite... Plusieurs dizaines de minutes pour faire un trajet qui n’en nécessite pas autant. La Lune est si belle en cette soirée, ton regard s’abandonne de temps en temps sur la Voie lactée et l’ensemble de ses ouailles.
Il te regarde, d’en haut. Il veille sur toi.

Avant toi, un autre homme pénètre dans les verrières. Tu lui emboîtes le pas. Ton cerveau cartésien en déduit, sans l’ombre d’un doute, qu’il doit être assigné à le même mission que toi. La solitude t’est plus familière que la compagnie d’un être. Un moindre mal, plusieurs cerveaux sont nécessaires. Tes recherches avec Abaraï Kiku t’ont permit de mettre en évidence ce fait.

Ton sang pulse dans tes veines. Une inspiration. Une expiration. Te voilà prêts. Tu pénètres l’Atelier.

Au sein de l'Atelier, les expériences s'enchainaient comme des nouvelles chemises. Il était évident qu'un attroupement d'esprits aussi éclairés accouchaient d'idées exceptionnelles, et ce quotidiennement ; mais rares étaient celles qui étaient placées sous la tutelle directe d'Arai Kisaragi. La patronne des alchimiste disposait de cet enthousiasme inépuisable, contagieux, omniprésent, qui faisait oublier à tous qu'elle était autre chose qu'une mascotte, dans les murs de son bâtiment. Au contraire ; l'Érudite était la première à trifouiller dans les failles de l'éthique pour s'autoriser de nouvelles découvertes, au nez et à la barbe de Sasaki Koubai. Qu'est-ce qu'il avait à dire, d'un sens ? Ne faisait-il pas confiance à son alchimiste préférée ? C'est sans doute ce qu'aurait répondu Arai Kisaragi s'il lui posait directement la question, d'un ton froid et solennel, dont il avait le précieux secret.

« Enfin, vous êtes là ! »

Telle une bouffée d'air frais, la patronne des alchimiste débarqua sous les verrières de l'Atelier d'un sourire extravagant. Elle se faufila entre ses deux cobayes compagnons et, posant ses deux mains sur les épaules, s'assura de faire les présentations. Ces deux messieurs la connaissaient assurément ; mais se connaissaient-ils ?

« Shinonome Eirei, L'Homme Pâle, et Nagao Mizuki, dernière recrue des 9 Charognards ! Que d'honneur. Vous voyez, je vous imaginais plus grand. Plus... » La femme essaya de mimer son ressenti via des gestes obscurs. « Plus... imposants. Ou charismatiques ? Ou alors c'est cette étrangeté commune qui fait de vous des "élus" ? Voyons, mon cher Eirei, il n'y a pas de soleil dans cette serre, tu devrais te découvrir ~ »

La patronne des alchimiste frappa des mains. Son secrétaire attitré débarqua aussitôt en courant.

« Oui madame !
— ... Tu attendais vraiment que je t'appelle pour bondir ?
— Euh... non madame !
— ... D'accooooord. »

Arai Kisaragi vous échangea un regard complice, en plus d'une grimace surjouée sur le visage. C'était donc ça, son quotidien. Que quelqu'un me vienne en aide ! – voilà l’impression que vous pouviez reconnaître.

« Conduis ces charmants jeunes hommes à la chambre 23. Tu leur expliqueras le procédé, hein.
— Oui madame !
— Brave petit. »

La femme troqua aussitôt un clin d’œil contre une porte de sortie. Vous laissant seul avec le secrétaire servile.

« Si vous voulez bien me suivre, ô élus... »

Comme à ton habitude, tes pensées s’avèrent vérité absolue.
Hideux personnage que voilà. Il pue la mort. Un fossoyeur à l’allure tout aussi cadavérique que la tienne. Il jouera le rôle de second ; son nom t’est déjà oublié.
Dame Kisaragi, quant à elle, ne change pas. Fidèle à elle-même. Une touche d’instabilité dans ce microcosme.

Sans un mot, sans une quelconque réaction de ta part, la chambre 23 vous est destinée.
Ta marque pulse. Les nervures masquées se renforcent sur ton épiderme zébrée par la maladie. Le canidé est bienvenue. Les œillades sur ta personne ne sont pas prises en compte. Une destinée plus importante vous appelle. Tu le sais. C’est un jalon de plus dans ta lutte contre l’accessibilité de la santé.

Le parjure ne t’effraie pas. Abaraï Kiku sera tenue au courant. Un jalon de plus pour l’iryoujutsu et le chakra.

Avant de pénétrer ladite salle, ta voix est raclée. Mise en condition pour poser une question que tu juges essentielle. Guttural, rauque, caverneuse. Habitée par quelque chose de tapis au plus profond de ton être. Cette voix qui était tienne ne t’appartiens plus. L’ersatz de temps ancien. « Avant de pénétrer la pièce. Parlez nous du cobaye. Quid de sa maladie, l'Écorce de Pierre ? »

N’est pas scientifique qui veut. Tu le sais, plus que quiconque. Un livre, un feuillet, qu’importe le support, quelque chose doit tenir compte de cette prochaine expérimentation. Du cobaye. Ses antécédents. Son lien avec le chakra. Des précédentes expérimentations, s’il y en a eu. En bref, toute information utile.

Tandis que le serviteur de Kisaragi conduisait les deux Érudit à la chambre 23, ceux-ci entraient dans le vif du sujet. Après tout, que se cachait derrière cette appellation pompeuse de « Maladie de l’Écorce de Pierre » ? Parlait-on d'une variante de peste où la peau nécrose au point de former une épaisse couche rugueuse ? Était-ce littéralement une mutation cutanée pour transformer le cuir et en pierre ? Le chakra était-il une inconnue pro-active, ou réactive ?

« C'est un maudit ! ... Ou un élu, comme vous préférez. Mais attention, pas n'importe lequel : il s'agit avant tout d'un alchimiste de l'Atelier. Il s'est porté volontaire pour subir quelques... disons... expériences, afin d'en savoir plus sur son cas. Voyez-vous, mes très chers collègues, notre ami ne contrôle pas ses pulsions. C'est une sorte de... vecteur du chakra ? Un chakra instable. Un chakra différent. Un chakra intrusif, qui entre par tous les pores de sa peau pour lui apporter des facultés impressionnantes. »

Le serf semblait fier de son résumé. Un sourire aux lèvres, il finit par s'arrêter devant une porte, qu'il ouvrit pour que vous la traversiez. Sur celle-ci trainait un écriteau discret, affublé du nombre « 23 ». Mais des dizaines d'autres salles occupaient ce couloir souterrain. Vous vous trouviez vraisemblablement dans les coulisses de l'Atelier.

« Et voici le concerné...
— Bonjour.
— Tu es sûr que tu ne le regretteras pas ? Je ne brûle pas cette attestation prouvant ta bonne foi ?
— J'ai fait mon choix. Merci, Érudits, de m'aider à me comprendre. »

Son visage était sombre. Ses mots, vibrants de détresse. Jusqu'alors assis à une chaise placée là, il se leva pour vous serrer la main à tous les deux, la relation traditionnelle scientifique-cobaye se retournant dans sa tombe.

« Vous pouvez nous laisser. » ordonna le cobaye au secrétaire qui, sur le coup, ne comprit pas. « Merci.
— C'est-à-dire ?
— Laissez-nous seuls. Je ne veux pas devenir l'une de vos curiosités morbides.
— Je...
— Maintenant.
— O-oui, je c-comprends... eh bien, euh... oui, je vais vous laisser... »

Le cobaye promena son regard sur vous deux, hochant subrepticement de la tête.

« Je me nomme Abaraï Masauji. Avez-vous des questions avant de commencer ? »

Cette main tendue ne trouva pas de réponse.

Abarai Masauji. Ce nom, tu le connais si bien. Aucune surprise ne voile ton faciès. Tu la préserve. Chaque information a été soigneusement enregistrer. Un élu [...] malade [...] volontaire [...] un Chakra étrange. Tu te vois dans ce cobaye, vous partagez de nombreux traits communs. Est-il lui aussi maudit ? Est-il lui aussi un vecteur de maladie ? Ton regard argenté se pose sur le suppléant. Il est temps de laisser les professionnels travailler. Une œillade s’attarde sur le fossoyeur. Quel sera son utilité ? Pour l’instant tu n’en vois aucune.

Tu prends les devants de cette opération. La porte est refermée derrière le serf de Kisaragi. Petit soupir de satisfaction.

« Shinonome Eirei. Avez-vous constaté un quelconque changement physique avant l’an 1 ? Même minime. » Ton corps accompagne ton regard. La quête que tu entreprends vise à trouver une quelconque note faisant un état des lieux plus poussé. «Pourquoi avoir décidé de devenir cobaye ? Est-ce la première expérience que l’on vous fait subir ? »

Ce petit détour dans la pièce te rapproche de l’homme. Après une série de signes incantatoires, un amas de globule noir est irrigué en direction du réseau veineux rétinien. Ta vision mute en quelque chose de nouveau, propre à ton arcane. Le système sanguin comme les organes de l’Abaraï te sont affichés.

Tu es en quête d’une information ayant pu être manqué par d’autres chercheurs.

« Si vous le permettez, nous allons procéder au début de cette expérience. Le secrétaire a parlé d’un Chakra... Différent ? Oui. C’est le terme. Après vous avoir sanglé, que diriez vous de chercher à le ressentir... Dans la pièce ? »

Ta main accompagne tes propos, tu l’invites à s’asseoir sur le trône. Imperturbable. Rien ne serait en mesure de te surprendre ou de t’effrayer. Tu as tellement vécu d’aberration.

Abaraï Masauji hocha la tête devant la non-réponse d’Eirei vis-à-vis de sa poignée de main. Il comprenait que certaines personnes n’appréciaient pas ce genre de contacts gratuits, bien qu’empreints de politesse. Il y avait fort à faire ; alors autant ne pas perdre du temps inutilement à se présenter, ou pire, parler du beau temps. Tandis que le fossoyeur promenait son regard aux alentours pour prévoir une porte de sortie, et chercher un éventuel moyen par où relever un cadavre – ce qui, dans une salle confinée, allait être impossible –, l’alchimiste encapuchonné commença un interrogatoire. Au programme : l'origine de la volonté de Masauji de se propre comme cobaye, mais aussi, questions pratiques quant au nœud du problème. Le secrétaire avait parlé d'assimilation de chakra – mais que se voulait-il dire concrètement ? Sans broncher, le sujet d'expérience répondit calmement.

« Je n'ai encore subi aucune expérience, ni inspection. C'est la première fois que je demande de l'aide. Mais je vous fais confiance. Vous êtes des alchimistes ; vous saurez agir convenablement. » L'homme zieuta les sangles qu'il avait spécifiquement demandé à préparer. « C'est ce que je comptais faire. Ces sangles ont été installées de ma propre initiative. Je peux devenir… violent. Cette énergie primitive, que j'ai l'impression de pouvoir assimiler, me dévore graduellement, jusqu'à supplanter ce "chakra" qui émerge en chacun de nous. J'ai... failli tuer ma fiancée, ce soir-là. D'où ce projet personnel. »

Masauji se rapprocha des sangles et, après s'être déshabillé, commença à s'installer dos au mur. Il garda simplement un bas pour éviter de brusquer votre pudeur, faisant fi de tout autre artifice pour vous permettre d'analyser les changements pouvant opérer sur son corps, lors de sa future mutation.

« Vous pouvez m'aider à serrer ces prises ? Je n'ai pas assez de mou. »

Selon toute vraisemblance, il prenait cette expérience à cœur. Et il ne désirait pas écraser la tête de ses collègues scientifiques lors d'une transe guerrière – ce qui pouvait, selon ses dires, vite arriver.

« Cette pièce est trop peu chargée en énergie "instable". Cela nous permettra d'avancer progressivement dans ma transe, et ainsi m'empêcher d'accumuler trop d'énergie, trop rapidement. Ce serait mortel. Pour vous, comme pour moi. Voyez-vous, j'ai l'impression que ces particules, que mon corps absorbe naturellement, sont plus abondantes au contact de la nature. Laissez-moi évoluer en pleine Forêt Blanche, et je ne donne pas cher de ma peau. » Il prit une légère inspiration. Puis l'expulsa aussitôt. « Ces briques, ces chaînes, ce mur, cette table... Ces créations de l'homme abritent de l'énergie instable. En infime quantité, certes, mais je la ressens pourtant. Quand je mute, mes sens sont comme... affûtés. »

L’information te remonte. Le fossoyeur ne te sera d’aucune aide. Cela ne te surprend pas. La solitude est ton amante et celle-ci ne tolère aucun écart. Le masqué se relègue, de son plein gré, au rôle de secrétaire de l’expérience. Une utilité le plaçant au second plan de la scène. Si la situation le permet, si ton âme n’était pas détruite, tu aurais sans doute ris.

Les sangles enfin serrées, l’expérience peut débuter. Mentalement, tous les propos du frère de ta correspondante sont notés. Tu ériges une carte mentale où de nombreux jalons et flèches voient le jour.

Tout est plus clair de la sorte, avec toutes ces réponses. À l’image d’un chef d’orchestre, ta dextre invite l’homme à débuter sa transe. Tu n’as jamais entendu parler de ce Chakra instable. Un probable lien avec ta maladie ? Tes yeux injectés de sang ne lâche pas le système sanguin du patient zéro. Le moindre changement influençant son sang ou ses organes te sera remonté. Tu ne comptes pas laisser la moindre information se faufiler sous ton nez.

Tu t’approches de l’Abaraï. Un bon mètre vous sépare.

« Je resterai ici durant toute l’opération. N’ayez crainte pour ma vie, je vous arrêterai si vous dépassez les limites. Inutile de vous l’apprendre, mais il est toujours préférable de le notifier. Laisser ce Chakra vous envahir, sans qu’il ne déborde. Faites en sorte de le malaxer, en très petite quantité, peu à peu. Je sonde d’ores et déjà votre intérieur. Mon collègue note vos moindres réactions. Tout sera fidèlement retranscris. »

Face à ton cobaye, tu restes imperturbable. Toute ces informations concernant une nouvelle source d’énergie sont fascinantes. Tu as bien fait de venir. Ils ont bien fait de réclamer tes services.

« Durant cette montée de chakra insta-... Je n’aime pas ce mot. Vous dites qu’il réagit différemment si vous vous exposez à la nature ? Je le nommerai, alors, Chakra naturel. Faites nous un rapport sur vos moindres sensations, vos moindres pensées. Si des hallucinations vous viennent, ne les combattez pas. Expliquez nous. Je reste là pour garder un lien, une connexion entre nous. »

Des sens... affûtés. Cette réponse n’est pas anodine. Bon gré mal gré, ta curiosité se retrouve piquée à vif. Il a déjà connu un tel état. Cette information, possiblement capitale, peut aider ton binôme à mieux saisir les tenants et les aboutissants de cette opération.

« Avez vous déjà fait d’autres crises auparavant ? Comment cela se déroule ? Et surtout, comment reprenez vous le contrôle de votre être, comment revenir en ailleurs ? »

Le sujet d'expérience était dans les mains des deux Érudits. Sanglé solidement par les pieds et les mains, il ne pouvait visiblement plus représenter une menace pour ses deux partenaires – du moins, c’était le but de la manœuvre. Au fond de lui, il était persuadé que ces liens ne pouvaient être qu’un menu obstacle si jamais son corps sombrait dans une transe meurtrière. Un présage qu'il voulait éviter à tout prix.

Quand l'alchimiste emmitouflé lui soumit un protocole d'opération, l'homme ne put qu'acquiescer. Eirei avait l'air de savoir ce qu'il faisait. Peut-être sa condition maudite lui avait ouvert des portes dans le passé ? Le cobaye allait devoir emmagasiner, progressivement, cette "énergie naturelle" figée dans toute chose pour dévoiler peu à peu son mal au grand jour. À chaque étape, il allait expliquer ses sensations et, si le chakra naturel venait à dominer son organisme, il allait devoir guider ses pairs sur ses songes lancinants.

« Il me faut une grande volonté pour sortir de cette transe. Comme si j'étais conscient d'un mauvais rêve, et que je voulais me réveiller. Vous connaissez sans doute cette sensation. »

Après l'aval des alchimistes, Abaraï Masauji se concentra sur les flux d'énergie environnant. Mais pas n'importe lesquels. Si les élus pouvaient ressentir le chakra et les signatures chakratiques des créatures affines à ce pouvoir émergent, le cobaye avait accès à une nouvelle profondeur de sensorialité. Selon la théorie de Masauji, toute chose inanimée, comme vivante, recelait de l'énergie instable, ou naturelle. Une table était constituée d'un certain nombre de particules, qu'il pouvait assimilée à terme pour les convertir en énergie, puis en chakra.

Les yeux fermés, son troisième œil métaphorique ouvert, le cobaye médita solennellement pour ouvrir tous les pores de sa peau. Rapidement, au contact de cette énergie latente, son épiderme commença à se noircir, voire même à se durcir, tandis que certaines mutations apparaissaient ça et là sur son corps. On pouvait y voir quelques écailles erratiques ; un début de corne poussant sur le côté gauche de son front ; des prémices de palmes poussant entre ses doigts. En somme : son corps convertissait ce trop-plein d'énergie en produisant de nouveaux tissus cellulaires, afin de ne pas exploser. Mais jusqu'où cela pouvait-il aller ? Y avait-il une limite ?

« Je le sens arriver... »

@Nagao Mizuki, sous tes fesses, tu peux sentir la table... vibrer. Ce n'est pas une puissante vibration qui te secoue les organes tel un tremblement de terre, mais quelque chose de plus sournois, discret, insidieux. Comme si de minuscules briques élémentaires se détachaient petit à petit du support pour rejoindre ce trou noir d'énergie.

Des cratères apparurent sur le dos et les membres du maudit. La douleur lui infligea de vilaines grimaces, alors qu'il serra sa mâchoire à s'en briser les molaires. Pourtant, il resta concentré, et passa outre la violence de cette mutation pour vous présenter davantage d'effets. Plus l'expérience progressait, plus le corps du cobaye pulsait de chakra, au point d'attirer tous les senseurs sur des lieues à la ronde. Sur le plan chakratique, il n'avait plus rien d'humain.

Et bientôt, sur le plan visuel non plus.

« Ça m'attaque. Mon corps en veut plus. Je vais essayer de le ralentir... »

La tempête se lève.

Sous tes yeux, le cobaye est prit de spasme. Cette énergie naturelle, tu ne la perçois pas, pourtant tu ressens un changement manifeste dans le corps de l’Abarai. Tes iris injectés par ton sang vicié mettent en évidence toute altération physique interne. Vous luttez, avec ton secrétaire, sur deux fronts diffèrent. L’un met en évidence les apparitions physiques et contre-nature de l’érudit, tandis que l’autre fouine dans son intérieur.

Le fossoyeur s’approche du cobaye. Il touche la peau craquelée. Tu aurais voulu l’arrêter, lui expliquer que ce n’est pas une bonne idée et que si cela éveille d’autre pulsion, alors la situation peut vite dégénérée... Mais tu n’en fais rien. Au contraire, tu l’invites par ta sénestre. Ta curiosité te pousse à commettre l’irréparable. Pour saisir les tenants et les aboutissants de cette aberration, il faut décrypter toutes ces facettes.

Tu dissimules un sourire derrière ce bout de tissus qui couvre ton visage.

Des doigts enchaînent les signes incantatoires, si la situation déborde trop, tu feras en sorte de poser un sceau de ton cru contre la peau de ton adversaire. L’idée est de canaliser cette afflux. Une idée traverse ton esprit. L’homme l’a expliqué ; il tire son pouvoir de la nature, de tout solide visiblement. Afin de ne pas le laisser se faire agresser, tu comptes retirer en amont les possibles éléments déclencheurs d’une rage aliénante.

« Reste concentré sur lui, notes tout et ne t’approche pas trop près. Quant à vous, chercher à puiser dans vos réserves pour vous retenir. J’ai une idée pour bloquer cet afflux trop important. »

Sans plus attendre, tu ouvres la porte avec fracas. Tout ce qui peut être jeté – même non sans mal – en dehors de cette salle le sera. Tu t’évertueras à le faire, qu’importe la réaction des autres expérimentateurs. Tu ne laisseras pas une seconde de plus Abarai se nourrir de ces phares d’énergies.

Rester alerte. Ne pas laisser son organisme prendre le dessus. Surveiller l’énergie naturelle envahissante pour ne pas être pris de court. Tant de points sur lesquels le sujet d’expérience avait décidé de se concentrer. Hélas, "chassez le naturel, et il revient au galop" ; les mutations du scientifique atteint de la Maladie de l'Écorce de Pierre n'en étaient que retardées. Tandis que le fossoyeur notait religieusement les observations qu'il pouvait observer, son collègue s'enquit à vider la salle de tout objet. Une action qui ralentit subrepticement l'évolution de l'état du maudit – même si l'effort insufflé dans un tel déménagement ne valait pas le changement opéré.

Grâce à sa vision surhumaine, toutefois, @Shinonome Eirei put analyser le sang, mais surtout les organes de sa proie. À l'instar de sa peau épaisse, rocheuse, Abaraï Masauji mutait de l'intérieur. Ses poumons grossissaient. Son cœur battait à deux à l'heure. Le sang circulait dans ses veines à une lenteur inconcevable. Petit à petit, son organisme courbait à l'échine pour donner les clés à un tout autre moteur : l'énergie instable – ou naturelle.

« Moyen... aide... ralentir... »

Sa conscience passait au second plan. Son propre corps réquisitionnait les rênes, enfermant l'esprit au sous-sol, à double tour. Malgré les précautions, le cobaye redoublait d'efforts pour accumuler toujours plus de particules. Il était un trou noir d'énergie ; une coupe à moitié-vide dont le fond était abyssal. Des morceaux de mur commençaient à s'émietter. La poussière atteignait une échelle microscopique, séparée en un océan de particules invisibles à l’œil nu, pour ne faire qu'un avec le vecteur maudit. Cette puissance omniprésente semblait léviter dans les parages.

Les deux Érudits purent entendre des craquements au niveau des prises en fer d'Abaraï Masauji. Celles-ci étaient elles également en train d'être absorbées par l'aura dévorante ?

Tes pupilles ensanglantées captent une information. La mutation n’est pas qu’externe. Elle est aussi interne. C’est à la fois magnifique et en même temps terrifiant. Le chakra peut faire ça ? Une nouvelle question taraude ton esprit. En apprendre plus sur l’énergie naturelle, voilà finalement le réel intérêt de ce contrat. Ses capacités, son étendu, toutes informations doivent être connus. C’est possiblement l’un des moyens les plus pertinents pour améliorer la médecine d’Asatsuyu.

Mais pour cela, une expérience se doit d’être testée.

Le mur se craquèle. Les fers s’émiettent peu à peu. Il va falloir agir vite, tu le sais. Ton secrétaire ne manque pas de te le faire remarquer. Tu n’as pas le temps de jeter un œil sur cette immondice. Une réponse est balbutiée.

« Oui. Je crains le pire... Mais j’ai une idée pour ralentir cette propagation fulgurante. Cela peut se retourner contre nous, prépare toi. »

Cette énergie naturelle, invisible a l’œil nu, converge vers un unique point. Le cobaye. L’homme a l’écorce de pierre. Une idée étrange est proposée. Tu te dois de la refuser. Ce ne sera pas utile. Pas nécessaire... Surtout en raison de tes efforts quasi inutiles.

« Cette idée est vaine. Elle n’a pas suffit, inutile. Note ça ; les mutations sont aussi internes. Poumons, cœur, organes, tous sont influencés par cette énergie naturelle. »

D’un mouvement de coude vers l’arrière, tu laisses ton long manteau passer dans ton dos. Une arme est visible à ta ceinture. Un couperet-scie ancien et usé. Une arme de boucher n’étant pas digne des Kodama diront certains. Tu n’as que faire des profanes. Ta senestre love le manche bandé de ton arme. Dans un agile mouvement circulaire, la lame est dégainée.


L’idée dans ton esprit est claire. S’il s’agit de mutation interne, alors blesser volontairement le patient pourrait canaliser le trop plein d’énergie au niveau de la stigmate. Ainsi elle pourra jouer le rôle de barrage. Une idée folle. Difficilement vérifiable. La situation ne permet, de toute manière, pas d’autre perspective. À trop patienter, l’homme pourrait perdre entièrement la raison et s’attaquer à eux... Ou pire, perdre la vie.

Dans un mouvement circulaire large, loin d’être précis, tu tentes de mordre une partie modérée de la chair du cobaye. Là coupe se veut profonde tout en évitant de lui ôter la vie par erreur. Ton esprit cartésien analyse la situation à mille à l’heure. Tu cherches une porte d’entrée. Celle permettant de comprendre les rouages qui animent cette maladie. Loin de toi l’idée d’abandonner l’Abarai en cherchant une porte de sortie pour une fin non risquée.

Toutes les mesures sont prise pour arrêter l’assimilation d’énergie instable du sujet d’expérience. Pourtant, ça n’a pas l’air de porter aussitôt ses fruits. Le procédé semblait se ruer à cent à l’heure, exigeant de ce fait des mesures drastiques pour y entrevoir un début de revirement. Tandis que le fossoyeur retira ses propres vêtements pour empêcher le malade d'absorber les particules d'énergie contenues à l'intérieur, l'encapuchonné s'enquit à jouer au chirurgien-boucher afin de mordre la chair durcie du cobaye. Étrangement, l'écorce de l'homme était semblable à de la pierre : résistante. À défaut de trancher l'épiderme et de faire saigner l'être enfermé en-dessous, l'arme ne laissa que de brèves stries sur cette carapace. Carapace qui passait subrepticement à la vitesse supérieure en se développant, toujours un peu plus, dans une succession de mutations erratiques.

« S'il... vous... pl... »

Soudain, le fossoyeur envoya son poing dans la gueule d'acier du prisonnier. Hélas, son manque de pratique au corps-à-corps le rappela très vite à l'ordre, alors qu'une vive douleur s’emparait de ses phalanges. Il n’avait pas l’habitude de cogner des cibles avec ses poings. Et s'en prendre à un mur n'avait jamais été une grande idée.

Et pourtant, cela fonctionnait. Malgré la maladresse de l'initiative, l'organisme autonome du cobaye freinait. Abaraï Masauji devait-il être conscience pour permettre à son corps, et donc son chakra, de prendre le contrôle des brides ? Quelques secondes après cette découverte, l'homme sembla retrouver ses esprits. Une pause miraculeuse dans l'évolution de son état qui vous offrait une première porte de sortie. Cette transe pouvait être stoppée.

« PLUS D'ÉNERGIE ! J'EN VEUX PLUS »

Les prises en ferraille de l'alchimiste commencèrent à rompre. Le temps vous est compté.

« Oh ... »

La chitine noirâtre du cobaye fou le protège de ton assaut. La lame entaille légèrement cette protection charnelle, elle a faillit rebondir. Une étrange propriété. Une écorce rocheuse. Le contrôle de la situation t’échappe. Ta poigne enserre le manche de ton couperet-scie. Le coup de poing du fossoyeur vint toutefois créer une occasion.

Une brèche.

« Tu as vu ? Continuons ! »

Décidé à endiguer ce problème de taille et faire en sorte de garder le frère de Kiku dans le droit sentier, tu retrousses tes manches. Tes veines sont noirâtres. De nombreuses zébrures marquent cette peau viciée par une antique et étrange maladie. Le surplus de sang irriguant tes yeux retourne dans ton organisme. Tu n’as plus besoin de cette vision supplémentaire. L’Abarai va bientôt compter les moutons, Morphée l’appelle.

Trois percussions. Trois coup de manche contre le crâne du monstre à la peau plus dure que la roche. Si un simple coup de poing pouvait être en mesure de le sonner légèrement, il était évident que tu te jetterais sur cette occasion offerte. Une œillade est jetée sur ton secrétaire. Tu l’invites à faire de même.

L’Abarai doit revenir à la raison, cette armure ne cesse de se déployer de plus en plus sur son corps. Bientôt, il sera trop tard. Vous ne pourrez être en mesure de le vaincre à deux, tu le sais. Quitte à ce qu’il perde conscience et plusieurs litres de sang, tous les moyens seront employés.

Les deux Érudits avaient mis le doigt au cœur du problème. Une solution efficace se présentait devant leurs yeux : rendre le cobaye inconscient afin d’empêcher son corps de puiser continuellement dans l’énergie naturelles environnante. Un traitement que les scientifiques s’enquirent aussitôt à imposer à leur patient, qui fut la cible de leurs assauts combinés, entre tête de pelle et crosse de couperet. Mais le plus impressionnant dans cette situation était non pas son potentiel absurde, mais le fait que cela fonctionnait. Petit à petit, le malade sombrait dans l'inconscience, jusqu'à définitivement sauter dans les abysses du sommeil imposé, son âme ayant décidé d'arrêter le frais face à ce torrent de heurts et de douleur. Rapidement, son "écorce de pierre" s'émietta. Des pans entiers de son épiderme morbide s'arrachèrent d'eux-même, laissant entrevoir une peau parfaite, indemne. À première vue, cette transformation ne l'avait pas meurtri physiquement. Mais qu'en était-il de son psyché ? Son souffle était bas ; son corps était quasi à l'arrêt. Les deux agents du clan Kodama avait désormais un poids mort sur les bras.

Votre acharnement porte ses fruits. Après plusieurs coup d’arme contondantes, le cobaye fou de terre dans le silence. Vous savez ce que cela signifie, sa folie a été endiguée pour l’instant. Il faut faire vite, ne pas lui laisser le temps de revenir à la raison si ce chakra naturel refait des siennes, vous risquez gros. Sans oublier l’intérêt premier de votre quête, tu pointes l’un des morceaux d’armures de l’Abaraï.

« Fossoyeur. Ramène ça aux serfs de Kisaragi. Elle s’occupera de l’analyser pour nous. Nous ne pouvons pas le laisser dans un tel état, surtout si sa transformation recommence. Peut être qu’un fuinjutsu assez puissant réussira à canaliser l’homme, peut être via un filtre spirituel. Ramène moi Kisaragi au plus vite. Je m’occupe de lui en attendant. »

Sans plus attendre, tu jettes ton arme dans un coin de la pièce, derrière toi. Tu auras besoin de tes deux mains. Physiquement, l’homme n’a aucune contusion ou autre marque de blessure. Preuve que sa seconde peau l’a bien protégé. Il respire encore, mais son souffle se raréfie. Tes doigts viennent se placer au niveau de son cou, tu vérifies son pouls. Bien qu’il soit amorphe, tu oses espérer que la vie n’est pas en train de quitter pour si peu.

« Tu ne peux pas abandonner Kiku. Pas maintenant. Elle aura encore besoin de toi. Bats toi. Bas toi Masauji. » lui murmures tu à l’oreille.

L'état du cobaye était alarmant, mais les deux scientifiques chargés du projet ne l'avaient heureusement pas abandonné. Tandis que le pestiféré restait à son chevet, récupérant des signaux vitaux afin de suivre l'évolution de son pouls comme de son souffle, le Fossoyeur sillonna le sous-sol de l'Atelier... jusqu'à tomber sur Arai Kisaragi.

« Ohhh, que me vaut cet honneur ? »

Nu comme un ver, Nagao Mizuki laissait une drôle de première impression à la Patronne des alchimistes. Mais une bonne impression tout de même. Elle récupéra aussitôt le morceau d'écorce de pierre que lui tendit son serviteur. Ainsi, c'était cette chose qu'avait décrit Abaraï Masauji lors de l'explication de sa transe suicidaire ?

« Allons voir notre ami. Ce serait dommageable de perdre un élément si prometteur. »


L'état de l'inconscient était stabilisé. Grâce à la présence de Shinonome Eirei, comme à la résilience du cobaye endormi, celui-ci gardait la tête hors de l'eau – ces flots sombres et profonds aux allures d'abysses. Le coma l'avait frappé en pleine apogée de sa puissance, après de nombreux heurts sur sa boîte crânienne.

Lorsque la Patronne des alchimiste débarqua dans la pièce vide, sa bonne humeur embrasa les lieux. Même si elle ne comprenait pas pourquoi tout le mobilier se trouvait dans le couloir de ses propres locaux, elle décida de laisser le bénéfice du doute à ses deux employés, et rejoint aussitôt le chevet de Masauji.

« Ça va aller, maman est arrivée. »

La femme fouilla dans sa petite besace en bandoulière, improvisa un support afin d'y poser une myriade de composés, et de réactifs. Sans jeter le moindre intérêt à ses compagnons, elle dilua des choses, en mélangea d'autres, jusqu'à finir par secouer une fiole en verre de toutes ses forces, sans précaution particulière.

« Attention, ça va piquer les narines. »

Elle approcha finalement la fiole du nez du cobaye, et ôta son pouce pour en y libérer les effluves. Ces émanations chimiques agressèrent aussitôt l'organisme d'Abaraï Masauji, qui se réveilla d'un bond pour reprendre respiration.

« Et voilà le travail ~
— Que s'est-il p-passé ?!
— Il semblerait que nos amis t'ont ausculté pendant ton délire. »

La femme mentionna le morceau d'épiderme durci que lui avait confié le fossoyeur.

« Tu pourras creuser le sujet d'une autre façon, maintenant.
— Q-qu'est-ce que c'est ?
— Ta peau mutée. Satisfait par cette belle expérience pratique ?
— Je... je suppose que oui.
— À la bonne heure ! Sur ce : nettoyez-moi tout ça, les garçons. Chop-chop ! »

Sans demander son reste, la femme escalada le bordel que les deux alchimistes ont foutu, et s'en alla reprendre son activité. Elle n'avait pas demandé à des Érudits d'assister à cette expérience pour se charger de tous les détails, notamment le...

« OH, ET ÉCRIVEZ-MOI UN RAPPORT AVEC DES DÉTAILS, HEIN. JE NE VEUX PAS DE TORCHON. »

Sa voix vibra dans tout le sous-sol de l'Atelier. C'était un peu ça, aussi, Arai Kisaragi.